24 février 2013

Quand Pascal Garnier nous invite à La place du mort...

Pascal Garnier fait partie des ces hommes qu'on regrette de ne pas avoir connus. Mort en 2010, à 61 ans, dans sa maison en Ardèche, c'est un auteur prolifique (une trentaine de romans, polars et textes pour la jeunesse) et vraiment singulier. Chez lui, l'humour noir le dispute au nihilisme absolu, et le style est précieux au sens où il est à la fois économe et surprenant. A vrai dire, il me fait irrésistiblement penser à Kââ, alias Pascal Marignac, un de mes auteurs fétiches, en ce qu'à la fois il n'est pas dupe de ce qu'il écrit, tout en mettant dans ses textes une sorte de magnifique honnêteté.
La place du mort a paru pour la première fois au Fleuve noir, en 1997, et a été réédité en janvier 2013 dans la collection Points Seuil. Fabien Delorme rentre chez lui, à Paris. Il a rendu visite à son père en Normandie, et ça s'est passé comme d'habitude, c'est-à-dire pas du tout. La communication, ça n'est pas le point fort de la famille... Sa femme Sylvie n'est pas à la maison. Et pour cause, elle est morte dans un accident de voiture, du côté de Dijon, en compagnie d'un inconnu. Double drame, veuf et trompé...
Vous avez dit drame? Non, pas vraiment. Fabien s'installe très vite chez son copain Gilles, qui vient de divorcer, et finalement, entre journées passées à jouer avec le petit garçon de Gilles, Léo, et soirées entre esseulés, la vie va. Elle va, certes, mais c'est un peu juste quand même. Fabien remue dans sa petite tête une idée singulière : retrouver la femme de celui qui était avec Sylvie quand elle est morte. Facile, il a son adresse à Paris... Martine, c'est son prénom, est une petite bonne femme blonde discrète, flanquée en permanence d'une amie plus âgée, sorte de compromis entre dragon et dame de compagnie. Fabien épie les deux femmes, bientôt il n'ignore plus rien de leur vie et de leurs petites habitudes. Mais ça ne lui suffit pas, il veut entrer dans leur existence, jouer un rôle dans leur destin, et du même coup changer le sien. Et cela, il va le réussir, c'est le moins qu'on puisse dire.
En quelque 180 pages, Pascal Garnier fait faire à la vie de son héros plusieurs têtes-à-queue à la fois cocasses et sinistres. Il remplit la vie de Fabien d'autre chose, certes, mais était-ce vraiment bien la peine ? Il lui fait vivre une aventure à la fois macabre et dérisoire, au cours de laquelle il n'y aura pas d'amour, pas de vie, pas d'espoir non plus. Il régale son lecteur par une prose qui avance, puis prend les chemins de traverse, nous donnant son point de vue sur la nature, animale et humaine ("Dans la forêt un renard vient d'égorger un lapin. (...) D'un coup de dents il éventre le lapin et plonge son museau dans les entrailles fumantes. Partout autour de lui, des milliers d'animaux, des plus grands aux plus petits, s'entrebouffent ou se grimpent dessus sans autre but que de perpétuer le jeu"), la famille, l'amour, le couple, la vie, quoi. Un roman lucide, avec un peu de tendresse dedans, mais surtout beaucoup de désespoir.

Pascal Garnier, La place du mort, Points Seuil

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