13 avril 2014

QUAIS DU POLAR 2014 Episode 3 - Ecrivain, scénariste de série : quel parcours?

Macha Séry, Anne Landois et George Pelecanos
Interrogés par Macha Séry, Anne Landois, show runner (scénariste en chef) depuis la saison 3 de Engrenages et George Pelecanos, romancier, co-scénariste et producteur  de The Wire et Treme, ont évoqué généreusement leur expérience d'auteurs. Extraits.

Devenir scénariste ?
AL : J'ai toujours voulu être scénariste, j'ai fait des études de cinéma pour cela. J'ai rencontré un prof de scénario qui nous a dit : "vous n'apprendrez jamais à écrire des scénarios dans un amphithéâtre." Il a monté avec nous un atelier d'écriture en-dehors de la fac, un petit comité avec des étudiants qui voulaient vraiment écrire. Mais on ne devient pas scénariste du jour au lendemain : j'ai commencé par être lectrice, puis je me suis proposée dans des sociétés de production. Tout de suite, j'ai été attirée par l'univers du polar, et particulièrement du judiciaire. Le réalisme, c'est cela qui m'intéressait surtout. Ensuite je suis partie en Belgique pour travailler sur une série non policière, un format plus long qu'à l'habitude, puis je suis revenue en France pour travailler sur Engrenages.

Anne Landois

GP : David Simon est venu me voir après avoir lu certains de mes romans les plus noirs. Il a vu comment j'appréhendais la ville de Washington, ses côtés les plus sombres.On s'est rencontrés à un enterrement, et il m'a proposé tout de suite de travailler sur la première saison de The Wire. Sans grandiloquence, pas de phrases du genre "Nous allons révolutionner la télévision." Très simplement. J'ai accepté. Je savais ce qu'il avait déjà fait, je savais qu'il avait du talent.  Et puis David m'a demandé d'assurer la production l'année suivante. J'ai donc travaillé sur 5 saisons de la série. J'étais un peu l'ange de la mort ! Quand ils me voyaient arriver, les comédiens avaient à peine besoin de lire le script ! A la saison 3, nous n'avions pas prévenu un des comédiens qu'il allait mourir, ce qui signifiait que c'était fini pour lui dans la série. Il n'était pas très content. Enfin, le fait de travailler avec Richard Price était formidable. Il a vraiment changé la face du roman policier américain, surtout avec Frères de sang.


George Pelecanos


Les thèmes ?

AL La saison 5 d'Engrenages portera sur la relation entre la police et les indics. Un mariage de raison, mais aussi un mariage dangereux si l'on considère les dérapages récents. Je travaille avec des consultants qui me sont précieux : 3 commandants de police, un policier de la BRB, un commissaire parisien, un juge d'instruction, tous en exercice, ce qui est très important pour moi car j'ai besoin d'avoir des réponses à mes questions extrêmement rapidement. Ce sont eux qui donnent la garantie du réalisme. J'accomplis aussi un gros travail de documentation et d'écoute en amont. C'est en écoutant parler les policiers qu'on entre vraiment dans le cœur du sujet. Cette proximité fait qu'à un moment donné, une relation de confiance s'installe. C'est ainsi qu'est venue l'idée de travailler sur la relation avec les indics, un lien proche et très ambivalent. Mais on plongera aussi dans les milieux du grand banditisme, et dans celui de la violence des filles, dont on parle très peu mais que les policiers observent de près, aet qui comporte une rage et une violence incroyables.

GP : On a assez peu travaillé sur l'aspect procédural, mais beaucoup sur le langage,  la poésie du langage.Une fois que les principaux acteurs ont été choisis, nous avons assisté aux castings pour les rôles secondaires. C'était très important. On travaillait 14 ou 16  heures par jour. Il y avait toujours quelque chose à faire. Il fallait donc être efficace tout le temps. Il faut comprendre que quand on tournait, on ne se rendait pas compte qu'on était en train de faire The Wire! S'il fallait le refaire aujourd'hui, ce ne serait pas possible.

Les méthodes

AL : L'écriture collective n'est pas une particularité française, même si c'est en train de changer. Pendant très longtemps, en France, nous avons souffert de la suprématie du réalisateur, considéré comme l'auteur absolu. Notre télévision a beaucoup hérité de la nouvelle vague, de cette période où le réalisateur était maître absolu, ce qui était appréciable en termes de liberté de ton, mais qui a beaucoup affecté le fonctionnement de la télévision. Pendant 20 ans, on a eu des héros récurrents avec des formats de 90 mn, des histoires bouclées. A mes débuts, en tant que scénariste, je trouvais normal qu'un réalisateur intervienne sur mes textes. Aujourd'hui, cela a beaucoup changé. Dès demain, nous commençons le tournage des épisodes 7 à 10 de la saison 5 d'Engrenages, et là on se rend compte du changement intervenu dans les méthodes de travail.

Le rapport est totalement différent avec le réalisateur, qui arrive après l'écriture. Il n'est pas associé d'aussi près qu'avant à l'écriture même. Cela fait 2 ans que je travaille sur cette saison 5, et quand le réalisateur arrive, beaucoup de travail a déjà été fait. Ce qui en fait lui facilite la tâche ! Inutile d'avoir plusieurs chefs. Nous avons beaucoup souffert d'avoir une multitude de chefs, jusqu'à 6 pour la saison 3 d'Engrenages... Nous avons beaucoup appris des Américains, et  The Wire a été ma référence pour écrire Engrenages. J'ai "avalé" cette série avec un plaisir insatiable à cause de tout ce qu'elle contenait en termes de réalisme social. Essayer de comprendre comment c'est fabriqué, puis essayer de transposer à la France, c'était passionnant. On a compris qu'il fallait avoir un pilote unique, qui sache s'entourer. Une parole unique, ce n'était pas simple parce qu'il fallait tenir compte de tout ce qui avait été fait avant, relire les scénarios, s'assurer de la cohérence, etc. Mais c'est vers cela qu'il faut tendre.

GP : Avant que l'équipe se mette au travail, les auteurs s'isolent quelque part, de préférence dans un endroit où il y a de bons bars. Puis on parle du sujet de la saison. Les personnages, d'où ils partent, où ils vont. Il faut à peu près une semaine pour faire ce travail. Puis il y a un travail scène par scène de chaque épisode. A peu près 50 pages de script pour 58 mn de film. En quelque sorte, on distribue les cartes. Et si c'est bien fait, si chaque personnage est bien décrit, ça marche. On essayait d'avoir au moins 4 épisodes d'avance avant de commencer à tourner. Plus, c'était difficile à cause des aléas de la production. Et en tant que scénariste, on progresse avec le temps. De mon premier script pour The Wire, on a gardé à peu près 30%... A la fin, ça tournait autour des 90%.

AL : Nous sommes une équipe de 6 ou 7 auteurs. Chaque saison a eu son mode d'écriture différent, assez artisanal. On s'est rendu compte qu'on mettait beaucoup de trop de temps à écrire,  2 ans ou 2 ans et demi. Donc nous avons essayé de resserrer ces temps d'écriture. Sur les saisons 3 et 4, j'écrivais l'"arche" avec un commissaire divisionnaire. On écrivait le traitement de tous les épisodes à deux. Mais c'était encore un peu empirique, car on n'avait pas une vision assez globale de la saison. On travaillait davantage sur les histoires que sur les personnages, donc on s'est un peu perdus, surtout dans la saison 4 où il y a vraiment beaucoup de méchants. Sur la saison 5, nous avons travaillé différemment : on a pris tous les personnages un par un et on s'est demandé ce qu'on voulait raconter sur eux. On s'est recentrés sur les personnages. La saison 5 part de la mort d'un flic : ça a été très intéressant d'entendre parler les policiers. Je pensais que dans ces cas-là, il y avait des cellules psychologiques. En fait pas du tout : chacun se débrouille tout seul avec son deuil et sa peur. Pour la saison 5, j'ai donc travaillé avec un autre scénariste avec lequel nous avons construit les personnages. Ce n'est qu'après, une fois qu'on a su quel allait être le destin de nos héros, qu'on a développé l'histoire. Ensuite sont intervenus d'autres scénaristes.

Mais on n'est jamais 10 autour de la table. L'arche fait une cinquantaine de pages. Ensuite, on travaille par soirée : en général, Engrenages est diffusé à raison de deux épisodes par soirée, avec un "cliff hanger" à la fin de chaque. Les auteurs prennent chacun en charge un épisode, le traitement, le séquencier, les dialogues etc. Puis je réinterviens sur l'harmonisation, le rééquilibrage, etc. On retravaille, on réécrit beaucoup. C'est un travail très complexe, avec beaucoup de personnages, beaucoup d'intrigues. Ça n'est pas pour rien que la série s'appelle Engrenages. Nous faisons aussi des lectures avec les comédiens, qui sont des moments précieux. Les comédiens sont en demande : ils veulent comprendre, apporter leur contribution, ils se projettent avec leurs propres désirs. Cela prend un temps fou : ils lisent tout leur dialogue et le commentent. On en discute, on trouve une solution. Leur regard est un plus très fort.

GP
: Je ne suis pas aussi patient qu'Anne... Pour moi, on sait où on va. Il se peut qu'on change un mot, ou éventuellement qu'il y ait une bonne idée de la part d'un comédien. Mais généralement, on ne change pas grand-chose. Si on passe trop de temps à discuter et à négocier, on ne s'en sort pas.


George Pelecanos

Les questions de la salle

Changer le monde ?
GP : Nous n'avons pas beaucoup d'illusions sur la capacité de changement que porte une série. Une prise de conscience éventuellement, et surtout peut-être un changement individuel chez les gens. La guerre de la drogue a ravagé la vie des gens, de tous les gens. Après cette guerre, chaque famille comptait au moins un membre qui était allé en prison, avait été blessé. C'est là que les gens ont commencé à parler à la police.

AL : Une anecdote : lors d'une enquête, les policiers avaient mis sur écoute les membres d'un gang. Et lors d'une conversation, l'un demandait à l'autre : "Tu regardes Engrenages? Parce que tu sais, ça parle de nous." Je sais également qu'Engrenages est entré dans les écoles de police. Car ce qui nous intéresse vraiment, c'est de montrer le travail de la police, et l'inadéquation entre l'exigence de justice de la société et les contraintes qui obligent parfois les policiers à contourner la loi pour parvenir à leurs fins.

Treme, les projets
GP : Je n'étais jamais allé en Louisiane avant le tournage de Treme. C'étaient des circonstances de tournage favorables, car les gens avaient vraiment envie de parler d'eux et de leur région. Quand on entre dans un bar là-bas, on ne reste pas seul très longtemps. Quand on est seul à New York, on est vraiment seul. Après The Wire et Treme, la collaboration avec David Simon se poursuit avec Times Square, une série qui se déroulera à la fin des années 70 à New York. Elle parle des gangs et de la prostitution. Actuellement, nous attendons de savoir si HBO "y va" ou pas.

L'influence du travail de scénariste sur celui de romancier

GP : Très positive. Avant de travailler comme scénariste, je ne m'étais jamais confronté à plusieurs auteurs talentueux. Jamais avant je n'avais échangé sur le processus créatif avec d'autres auteurs. Pour moi, ces séances ont avantageusement remplacé un cursus universitaire de "creative writing". La discipline d'écriture exigée par le script, qui implique l'obligation de transmettre des informations clairement compréhensibles, était également un défi. Une belle expérience donc.

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