27 avril 2014

QUAIS DU POLAR 2014 Episode 4 : Musique et roman noir, une histoire de famille ?

Allez, un petit dernier avant de clore le dossier Quais du polar 2014. Ce matin-là, dans une petite salle de l'Opéra de Lyon, il était, logiquement, question de musique. Vincent Raymond animait cette table ronde baptisée "Dancing Machine" et interrogeait cinq auteurs pour lesquels la musique, à l'évidence, compte beaucoup. Ace Atkins, Paul Colize, Marcus Malte, George Pelecanos et Cathi Unsworth (de gauche à droite sur la photo) se sont efforcés de nous raconter leur relation à la musique. Et c'était passionnant. Extraits.
Pourquoi la musique dans vos romans ?

Cathi Unsworth : Zarbi, mon dernier roman paru en France, se déroule en Angleterre, en 1984. L'année de la grève des mineurs et des luttes syndicales. A l'époque, la musique était très politique. Elle est donc une véritable expression de la situation sociale de l'époque, de l'atmosphère et de l'esprit qui régnaient au Royaume-Uni.

George Pelecanos : J'ai toujours été un fou de musique. Depuis le début, j'intègre la musique dans mes romans. Pour les gens, la musique fait partie de la vie. Dans les cuisines de restaurants et les bars, il y a toujours la radio. Donc pour moi c'était naturel. Si j'écris un roman qui se passe à une certaine époque, j'essaie de m'intéresser à la musique de cette époque.Et puis la musique, c'est aussi un "décor" quand on fait l'amour, par exemple. Attention, il ne suffit pas de consulter des bouquins pour savoir quelle était la musique qui s'écoutait telle année, il faut approfondir, écouter, aimer, sentir le son...

 
Ace Atkins et Paul Colize

Marcus Malte : Dans Les harmoniques en particulier, la présence de la musique est une évidence. Mais la playlist qu'on retrouve dans l'édition de poche ne vient pas de moi. Dans la version grand format, il n'y en avait pas. Ce sont les lecteurs qui ont manifesté l'envie d'écouter les morceaux dont il est question. En fait, il y a deux choses dans ce roman : les morceaux qui sont cités, et puis la musique en tant qu'écriture. La musique, ça n'est pas seulement des titres qu'on choisit pour l'ambiance. C'est dans ma façon même d'écrire que j'intègre la musique : pour moi l'écriture, c'est du son et du rythme avant d'être du sens. Les harmoniques, je l'ai conçu comme un standard de jazz, avec un nombre de chapitres qui correspond au nombre de mesures dans un standard, avec d'autres chapitres au milieu qui correspondent aux mesures du blues. Donc cela va bien au-delà de l'ambiance créée par le morceau cité. En fait, chaque fois que j'écris un roman, j'ai un ton particulier, bien différent. Tant que je ne l'ai pas, je ne peux pas commencer. Le ton va influencer toute l'histoire : jazz, classique, rock... Quant aux lectures musicales que je fais autour des Harmoniques, il me semble que pour le lecteur c'est quelque chose de plus ample, de plus complet. C'est un plus par rapport au roman.

Marcus Malte et Cathi Unsworth
George Pelecanos et Cathi Unsworth
Paul Colize : Je suis un enfant du rock, je suis né en 53, j'ai vu arriver les Beatles en 62. J'avais 9 ans, mes copains voulaient être pompiers, pilotes d'avion ou de formule 1. Moi, je voulais être Beatle. Mais contrairement aux rares copains qui voulaient être Paul Mac Cartney, moi j'avais choisi George Harrison. Il était là, dans son coin, avec sa guitare, et ça me plaisait bien. Donc j'ai trouvé un Mac Cartney, un Lennon et un Ringo Starr et on jouait dans nos chambres avec des cartons, des aiguilles à tricoter. Le rock a influencé toute mon adolescence, mes premiers émois, mes premières sorties. Encore aujourd'hui, j'écoute la radio belge des classiques rock Classiques 21. Un jour,sur cette radio, j'ai entendu une émission sur le Club des 27 - toutes ces stars du rock qui sont mortes à 27 ans. C'était louche, toutes ces morts suspectes. C'est de là qu'est née l'idée de Back Up. Les années 60, C'est une époque que j'ai vécue, même si j'étais très jeune. Il me reste des images très fortes de ce qu'on voyait à la télé avec mes parents. Surtout celles de la guerre du Viet Nam, qui m'ont marqué très fort. Quand on a entendu les Beatles pour la première fois, on n'imagine plus quel choc ça a été. Le son, et puis ces quatre types qui avaient l'air de s'amuser vraiment, c'était très impressionnant.

 Ace Atkins : La musique populaire vient du sud des USA, Memphis, Elvis, avec le gospel, etc. Avec plusieurs styles de musique différents. Avant de devenir romancier, j'écrivais sur la musique, en particlier le blues, sur des gens comme Robert Johnson, Muddy Waters. Je pense à mes personnages en fonction de la musique qu'ils écoutent, c'est vrai. En particulier dans ma nouvelle série : dans le sud, dans les 70s, c'était Lynyrd Skynyrd. Je voulais ce type d'esthétique dans mes livres: et puis les films de l'époque étaient aussi très imprégnés par cette musique. (...) Il y a tant de choses esthétiques en commun entre la musique et la littérature... Le blues, le jazz ont des rythmes spécifiques qu'on peut retrouver dans la littérature. Et puis les thèmes du blues sont aussi proches de ceux du roman noir. Pour moi Dashiell Hammett et Robert Johnson, c'est également évocateur du roman noir. Même chose pour la musique des années 70, certains musiciens country. Pour me mettre dans l'ambiance, je vais écouter du jazz classique, ou du Coltrane. Cela me donne le rythme, le tempo, le ton. Cela m'aide pour l'écriture des descriptions. En fonction du roman, il me faut de la vitesse, des phrases très courtes.

 Marcus Malte : Dans un de mes premiers polars, Carnages, la référence musicale principale, c'est Joe Dassin. Tout est une question de ton. Même une chanson française un peu datée peut faire l'affaire, je suis ouvert à tout. A la limite, j'aimerais bien élargir un peu ma gamme. Je me pose souvent la question de savoir pourquoi tel morceau de musique me touche. Qu'est-ce qui me fait vibrer ? En écrivant, j'aimerais m'approcher de cela. Qu'il y ait d'abord l'émotion qui touche le lecteur, avant même qu'il comprenne le sens de la phrase. Que cela reste mystérieux. Quand on utilise la musique dans un roman, c'est parce qu'elle nous a touché, pour telle raison ou telle autre. Et c'est cela qu'on essaie de retrouver.  C'est justement ça qui est intéressant : comment utiliser les mots du français pour trouver d'autres rythmes, sonner d'une certaine manière. On a toujours tendance à dire que l'anglais sonne mieux. Dans la tradition du polar, on a tous beaucoup lu de références à la musique anglo-saxonne. Mais quand on travaille la langue, il est aussi intéressant de faire en sorte que le français sonne aussi.

Paul Colize : Moi, j'ai hésité à mettre Etienne Daho dans la playlist de Back Up. Mais je ne me vois pas du tout écrire sur fond de chanson française. Il faut dire que je suis belge. Dans Back Up, un bassiste du groupe dit, paraphrasant Jack Bruce, que toutes lignes de basse ont été écrites par Jean-Sébastien Bach. C'est donc le mélange de toutes les musiques qui est intéressant : il faut aller voir ailleurs.

 
Ace Atkins, Paul Colize, Marcus Malte

Ecouter de la musique en écrivant ?
George Pelecanos : Je n'ai pas vraiment besoin de silence pour écrire. J'ai des enfants, des chiens, vous savez ! En revanche, je ne peux pas écouter de chansons avec des paroles. Alors j'écoute de la musique instrumentale, pas de jazz, plutôt des bandes originales de film, Lalo Schifrin, ce genre de chose.

Paul Colize : Paradoxalement, j'ai besoin du plus grand silence quand j'écris. J'ai des chats, ça n'aboie pas. Mais j'ai des enfants qui ont sans cesse besoin de moi, donc en réalité je suis sans cesse dérangé !

Cathi Unsworth : Pour moi, c'est naturel d'écouter de la musique tout le temps et très fort ! Pour Au risque de se perdre, j'ai entièrement calé mon premier chapitre sur le premier titre d'un disque de Barry Adamson (ex-Bad Seeds, aujourd'hui compositeur de musiques de films et de séries), The Wrong side of Relaxation, qui est probablement un des morceaux les plus terrifiants que je connaisse. Avec une ambiance à la David Lynch. Donc pour moi, la musique est vraiment une aide précieuse (...) Dans Zarbi, c'est en fait la musique qui sert de lien essentiel entre les personnages, elle les rapproche, elle est positive. Quand je parle de Soft Cell, par exemple, c'est parce qu'à l'époque, les lycéens gay se retrouvaient tous dans Soft Cell.

Barry Adamson,  The Wrong Side of Relaxation

Derniers romans parus en français :
Ace Atkins, Retour à Jericho, Le Masque
Marcus Malte, Les Harmoniques, Gallimard Série noire
Paul Colize, Un long moment de silence, La Manufacture de livres
George Pelecanos, Une balade dans la nuit, Calmann-Lévy
Cathi Unsworth, Zarbi, Rivages / Thrillers

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