29 octobre 2014

Denise Mina, "Des dieux et des bêtes" : une maîtrise impressionnante

Denise Mina est épatante. A chaque nouveau roman, c'est un véritable enchantement. Pas au sens "conte de fées", mais dans le sens où, tout en conservant son style bien à elle, à la fois direct, imagé, parfois onirique, elle réussit à se renouveler et à nous surprendre. Dans Des dieux et des bêtes (quel beau titre !), elle nous ramène aux côtés d'Alex Morrow, sa femme inspecteur qui vient d'accoucher de deux jumeaux, mais qui pour autant n'a pas l'intention de se laisser aller sans entraves aux joies de la maternité. Heureusement pour elle, car l'affaire que lui réserve Denise Mina n'est pas de tout repos. Tout commence dans un bureau de poste de Glasgow. Attaque à main armée, une victime. Le mort est un grand-père, venu à la poste en compagnie de son petit-fils. Il tombera sous les balles de l'assaillant, après avoir confié le petit à un drôle de type, Martin Pavel. L'écriture de ce premier chapitre est particulièrement impressionnante : rapide, avec un sens du mouvement saisissant, une force d'évocation à la fois sobre et terriblement violente. Dès les premières pages, Denise Mina nous tient et elle ne nous lâche plus. Car cette scène de pure violence est encore exacerbée par un détail troublant: apparemment, la victime connaissait son assaillant... Et peut-être même l'a-t-il aidé dans son acte.


Qu'avaient donc en commun Brendan Lyons, ce brave retraité apparemment sans histoire et ce tueur dépourvu de toute empathie ? Et qui est donc Martin Pavel, ce jeune type oisif, fou de course à pieds, engagé dans plusieurs mouvements politiques extrémistes, et qui mène sans ostentation un train de vie de nabab malgré lui ? Voilà quelques-unes des questions auxquelles Alex Morrow et son équipe vont devoir répondre, et vite, car la pression est forte. D'autant qu'en parallèle, Glasgow est secouée par de multiples affaires de corruption. Alors, quand l'affaire amène Morrow un peu trop près d'un homme politique véreux, qui a connu son heure de gloire populaire, les choses se corsent.

 Denise Mina a le don pour associer dans ses romans des histoires personnelles singulières et une situation sociale et politique préoccupante. Elle sait aussi avoir une vision historique de sa ville et de son pays. Dans ce roman, elle fait la part belle à l'histoire syndicaliste et politique, et en donne une vision emprunte d'un réalisme à la fois nécessaire et poignant. Elle mène ses intrigues de main de maître, rapproche ses personnages, entremêle leurs destins, révèle les secrets qui les lient les uns aux autres en nous abreuvant de surprises qui ne sont pas de simples "cliffhangers", mais de véritables ressorts pour notre réflexion. Derrière les apparences, la vérité toute crue. Derrière les équipes d'enquêteurs supposés travailler main dans la main, des trahisons et des tentations auxquelles certains n'auront pas su résister. Derrière des hommes politiques au charisme certain, perversités, magouilles et systèmes pourris jusqu'à la moelle. Avec, à la clé, des victimes qui restent au bord de la route, prises dans les phares de cruelles illusions. Et puis Alex Morrow, un personnage inoubliable, une femme à la fois opiniâtre et impulsive, à qui il arrive de "péter un plomb" quand, décidément, les choses sont insupportables. On saura gré à Denise Mina de ce clin d’œil qu'elle adresse au passage à un autre de ses beaux personnages, la journaliste Paddy Meehan, qui  fait l'objet d'une trilogie formidable (voir ici les chroniques et l'interview). On aimerait bien la retrouver aussi, Paddy Meehan... Et surtout, on lui sait gré pour son écriture sans concession, ses audaces stylistiques et sa belle humanité. Belle personne, belle auteure.

Denise Mina, Des dieux et des bêtes, traduit de l'anglais (Ecosse) par Nathalie Bru, Le Masque

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