15 avril 2018

Alan Parks, l'interview en roue libre

Avec Janvier noir, son premier roman qui se déroule à Glasgow dans les années 70 (voir la chronique ici), Alan Parks semble bien faire l'unanimité. Il était présent à Quais du polar, c'était donc le moment ou jamais de faire plus ample connaissance. L'homme est étonnamment truculent et drôle, contrairement à ce qu'on aurait pu attendre de l'auteur d'un roman très noir, très violent... et très réussi.

Janvier noir est donc votre premier roman.
Oui. Je suis rentré à Glasgow il y a 5 ou 6 ans, et j'ai pris des cours du soir sur l'histoire de Glasgow. Dans ce cadre, je me suis baladé dans la ville, et j'ai retrouvé avec émotion des lieux que j'avais connus quand j'étais petit. Au départ, j'avais dans l'idée d'écrire un livre sur l'histoire de Glasgow.  Et je me suis vite rendu compte que c'était trop difficile. Alors je me suis mis à écrire en incluant les lieux que j'avais connus, ceux qui existaient encore, ceux qui n'existaient plus, et j'ai construit mon histoire à partir de ça. 

La prison de Barlinnie, où démarre le roman, a une grande importance dans votre livre, et est très connue partout en Écosse.
Elle existe depuis plus de cent ans. Au départ, elle était située à une bonne distance de Glasgow, mais avec l'expansion de la ville, elle s'en est beaucoup rapprochée !  On passe devant quand on prend le bus. C'est un lieu plutôt horrible, en fait on y met tous les délinquants, quelle que soit leur faute. Que vous ayez volé quelque chose dans un magasin ou que vous ayez commis un meurtre, c'est là qu'on vous envoie.

Vous semblez être particulièrement préoccupé par les jeunes délinquants.

En tant que bénévole, j'ai beaucoup travaillé pour une banque alimentaire. Et là, j'ai vu tous ces gens, les sans logis, les jeunes paumés. On allait recueillir les provisions dans les supermarchés, puis on les répartissait dans les différentes banques alimentaires. L'idée était d'aider tous ces jeunes qui étaient sans abri, ou qui sortaient de prison : des gens qui n'étaient pas plus mauvais ou stupides que les autres, mais qui n'avaient pas eu la moindre chance au départ. Et tout ça m'a aidé à devenir très réaliste, tout en gardant un certain sens de l'humour. J'imagine que c'est en partie de là que vient cet aspect du livre.

C'est donc de là que vient l'idée des deux protagonistes du début, le tireur et la jeune fille.

Oui, sûrement. En fait, les deux sont des victimes... J'ai voulu présenter ces gens-là comme des gens normaux, montrer qu'ils ne sont pas plus mauvais que d'autres, qu'ils sont des personnes comme vous et moi. Et mon enquêteur, McCoy, est là pour essayer d'aider les gens. Il faut dire que beaucoup de policiers ont cette attitude.

Ce qui est étrange, c'est qu'il n'a que trente ans, donc son expérience n'est pas si longue que ça.
Oui, mais il est plutôt intelligent. Il pense qu'il peut faire la différence, changer les choses. Peut-être que dans vingt ans, il aura changé d'avis, il sera plus cynique... Mais pour l'heure, il essaie de traiter les gens avec respect.

La relation de McCoy avec son jeune stagiaire, Wattie, tient une place importante dans le roman. Que représente-t-elle pour vous ?
Il fallait que McCoy aie quelqu'un à qui parler, sans quoi tout le roman n'aurait été qu'un monologue. Et j'aurais pu faire ça, il y a beaucoup de livres qui fonctionnent sur le mode du monologue et qui sont très bons. Mais j'aime que les gens se parlent, échangent. Et le fait que Wattie soit encore plus jeune que McCoy, ça rendait la situation intéressante. Wattie est encore innocent, il est drôle. Le fait qu'il y ait ce dialogue empêche le roman de devenir trop sombre.

Wattie est-il aussi là pour représenter le lecteur ?
Oui, tout à fait, c'est lui qui pose les questions stupides, naïves en apparence ! Et du coup, il est d'une grande aide pour la progression de l'enquête.

.Et la relation entre McCoy et Stevie Cooper, elle est vraiment tordue, non ?
Mon cousin a fréquenté une école de Glasgow, un établissement très sévère. Un jour, un gros dur  lui a dit : "Tu vas être mon copain". Et mon cousin était à la fois rassuré et paniqué... Alors qu'en fait, ce gros dur voulait juste un copain loyal ! J'aimais bien cette histoire-là, je m'en suis inspiré pour la relation entre Stevie et McCoy. Je voyais bien Stevie dire quelque chose comme ça à McCoy... En contrepartie, c'est vrai qu'il a des choses à lui demander... Mais la relation, même si elle est étrange, est authentique.

C'est très ambigu, car Stevie, c'est quand même le mal incarné, dans votre roman.

Je ne suis pas sûr qu'il en soit conscient... Il fait partie de ces gens qui vous aiment ou qui vous détestent. C'est le trait commun que partagent les "gros durs".

Pourquoi avez-vous mis McCoy en position de devoir demander de l'aide à Stevie pour son enquête ?
En fait ils s'aident mutuellement. Ils ont grandi, mûri ensemble et leurs destins se sont séparés, mais évidemment ils ont partagé des choses pas toujours légales. Et McCoy a peur que Stevie lui demande de franchir la limite qu'il ne veut pas franchir. Leurs vies sont tellement entremêlées que nécessairement, à un moment, ça va tourner mal...

Dans le prochain roman ?

Peut-être (rires)... Ils sont comme des frères, parfois ils se détestent, parfois ils s'aiment, l'équilibre est incertain, surtout du côté de Stevie Cooper et des drogues. Dans le prochain livre, Stevie essaie de ne plus se trouver en première ligne, et voudrait se comporter comme un... manager, contrôler les choses, mais de loin !

Vous savez donc à peu près ce qui va se dérouler dans les prochains livres ?

Oui, en gros. Mais il peut y avoir des surprises. J'ai déjà une bonne idée de ce qui va arriver à ces deux-là dans les dix prochaines années, jusqu'au début des années 80.

Quelles sont les dates importantes qui ont marqué la vie de la ville de Glasgow à cette époque ?
Tout a commencé à la fin des années soixante. On a commencé à détruire tous les quartiers pauvres de Glasgow et à pousser leurs habitants à s'installer dans les cités des alentours. Un peu comme en France, d'ailleurs, non ? Donc les quartiers se sont vidés : quand on marchait dans certaines rues, tout un côté était complètement démoli. On a commencé par une transformation physique considérable. Les gens qui travaillaient dans les usines ont disparu en même temps qu'elles. Cette transformation physique s'est accompagnée de beaucoup de violence. Au début des années 80, Glasgow est devenue une ville où on pouvait venir en week-end : l'informatique, les industries culturelles, la gentrification... Quand la ville était pauvre, les gens étaient très attachés à leur territoire dans la ville, il y avait des bandes adverses, des bagarres. Une fois qu'on a eu repoussé tout le monde dans les cités des banlieues, des bandes adverses se sont retrouvées voisines, vous pouvez imaginer ce que ça a pu provoquer... Dans les années 70, il y avait beaucoup de violence parmi les jeunes, à cause de ça. Le problème est celui de toutes les villes qu'on a détruites : le déplacement des populations a provoqué des phénomènes de violence, à Glasgow comme ailleurs.

Dans votre livre, on voit aussi à quel point le système de classes était encore puissant.
Oui, c'était vraiment un système de classes très structuré, pratiquement féodal, il était impossible de sortir de la classe où on était né. Ça n'a pas changé tant que ça...

Récemment, Val McDermid a écrit un texte où elle expliquait que les auteurs de polars écossais avaient beaucoup contribué à sortir de l’Écosse de son imagerie folklorique. Qu'en pensez-vous ?

C'est vrai que l'image de l’Écosse est souvent stéréotypée. Je ne suis pas sûr que les auteurs de polars aient beaucoup contribué à l'évolution de cette situation, ce qui est sûr, c'est que plus on en parle, mieux c'est.

Le polar a quand même contribué à attirer un certain tourisme en Écosse, non ?
A Edimbourg, pas à Glasgow (rires) !

J'étais sûre qu'on en arriverait là !
C'est vrai en fait, en y réfléchissant, la vision qu'on a de l’Écosse s'est un peu complexifiée. 

Ça a commencé par William McIlvanney, non ?
Tout à fait ! A la fin des années 70, mon père avait les romans de McIlvanney, et je les ai lus. Et pour la première fois, je me suis aperçu qu'un romancier pouvait écrire sur des lieux qui m'étaient familiers, c'était extraordinaire. A cette époque, il y avait à Glasgow un sans-abri roux, et il était dans un roman de McIlvanney. Il y parlait de lieux que je connaissais, et pour moi cela a changé ma vision de Glasgow qui est devenue un lieu où on pouvait situer des histoires intéressantes.

Pensez-vous que votre envie d'écrire des romans noirs pourrait venir de cette lecture ?

Oui, c'est très possible. Il y avait aussi une série télé, tournée en Écosse, où on parlait la même langue qu'à Glasgow, le même argot. Cela m'a montré qu'il n'était pas nécessaire d'aller dans l'Ouest des Etats-Unis pour imaginer de bonnes histoires... Et puis j'ai oublié tout ça pendant 20 ans ! C'est aussi, probablement,  pour cela que j'ai choisi cette période.

Alan Parks, Janvier noir, traduit par Olivier Deparis, Rivages

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