2 juin 2019

"White Spirit", de Pierre-François Moreau : le sort tragique des black beauties du Nigeria

Début mai 2019, l'hebdomadaire Le Point consacrait un article édifiant  au sort terrible des jeunes Nigérianes victimes de réseaux mafieux de prostitution, qui, de plus en plus souvent, se retrouvent dans le sud de la France, après avoir été longtemps dirigées vers l'Italie. 

White Spirit s'attaque donc à un sujet plus que jamais d'actualité, et l'angle romanesque ne fait qu'accentuer l'horreur que vivent ces jeunes femmes prisonnières d'un système impitoyable qui joue habilement avec l'influence des forces magiques et la peur des représailles.
Pierre-François Moreau a choisi d'organiser une rencontre en apparence improbable entre deux univers diamétralement opposés : celui des professionnels des jeux vidéo et celui des réseaux nigérians. Bruce fait partie du premier : scénariste star, catégorie "fun gore", il est venu à Montreux participer à une grande convention qui rassemble tout ce que le monde compte de geeks bien allumés, brassant les dollars, passant leur vie à voyager de continent en continent, enfermés pour moitié dans leurs univers virtuels et artificiels, pour moitié dans l'univers des hôtels de luxe, bien loin du monde réel, celui des simples mortels. Bruce va reprendre brutalement contact avec cet univers-là. Même les geeks ont du vague à l'âme : cette nuit-là, Bruce n'arrive pas à dormir, il ne sait plus trop ce qu'il fait ces dernières heures, il sait à peine quel jour on est et quelles substances il a consommées. Il décide de sortir, de marcher le long du lac, juste avant le lever du jour. Arrivé au pied de la statue de Freddie Mercury, il aperçoit une silhouette féminine sur le ponton, elle s'asperge du contenu d'une bouteille,  une haute flamme, un flash de lumière, un bruit de plongeon. Sans réfléchir, il saute dans le lac et en remonte une étrange prise : une jeune et magnifique noire, venue jusque-là pour mettre fin à une vie de cauchemar à coup de white spirit...

Gifty, elle s'appelle Gifty. Elle vient de Benin City, au sud du Nigeria, où son père a trouvé la mort, écrasé par la chute d'une croix pendant qu'il faisait on ne sait quoi dans le local d'une coiffeuse du coin. L'accident aussi symbolique que fatal signe le début du cauchemar pour Gifty et sa famille. Plus de protection, plus de choix : mais pas d'inquiétude, le chef de quartier a une solution. Pour rembourser les dettes paternelles, il suffit d'accepter de partir pour la Suisse, et de faire son travail de coiffeuse. Voyage en minibus et en avion, tout s'annonce plutôt bien pour Gifty...On se doute bien que l'atterrissage va être rude. Après un voyage épique, Gifty et ses amies se retrouvent à Lausanne, dans le quartier de Sévelin, haut lieu de la prostitution internationale. Là-bas, la communauté des filles nigérianes partage un passé sordide : voyage cahotique, viols, prison, centres de rétention, pour finir là, prostituées et terrifiées par le juju, la magie qui préside à leur destinée et l'objet qui l'incarne...  A Lausanne, les filles sont pratiquement esclaves, sous la férule de la Madame, assistée pour les basses oeuvres par Faty et Rocky. Quant à Bruce, ou plutôt Bruno, il s'est laissé embarquer par son agent dans une sombre histoire. Lui aussi, il a du vilain monde derrière lui...

Comment ces deux-là vont-ils s'en sortir ? S'aimer, est-ce que ça suffira ? Bien sûr que non. Nous voilà partis pour une cavale effrayante, ponctuée de rebondissements spectaculaires et de questions sans réponses. La bande sonore du roman est aussi assourdissante qu'hypnotique, Pierre-François Moreau est parfaitement à l'aise et efficace dans une prose moderne, cahotique, rythmique, imagée, et on se laisse entraîner à sa suite dans cette histoire où le choc de deux mondes a aussi le mérite d'éveiller les consciences sur le sort tragique réservé aux black beauties du Nigeria.

Pierre-François Moreau, White Spirit, La Manufacture de livres

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