14 février 2024

Alexandre Courban, "Passage de l'Avenir, 1934" : une année de luttes


 Cette année-là, on est en pleine affaire Stavisky, la mort de ce dernier en janvier n'a pas calmé un pays en proie à la méfiance envers les parlementaires. En février, les forces d'extrême-droite manifestent leur mécontentement, auquel répondent très vite des manifestations populaires qui feront plus de 25 morts et de mille blessés... Gabriel Funel est journaliste à L'Humanité, il est responsable de la rubrique sociale et il a fort à faire. Dans cet entre-deux guerres, les ouvriers et les ouvrières souffrent de conditions de travail honteuses et de salaires de misère, alors que la bourgeoisie est plus florissante que jamais. "Salaires de misère et vie d'esclaves (...) Et que dire à nos gosses ! Leurs écoles sont aussi sombres que des prisons!", s'insurge Pierrot, qui distribue à la sortie des usines la presse révolutionnaire. 

Le pouvoir politique vacille sous les coups venus de part et d'autre. Edouard Daladier restera président du Conseil huit jours seulement : il devra céder la place à Gaston Doumergue. Les manifestations se multiplient, les mouvements sociaux aussi et Gabriel est mobilisé pour son journal, mais aussi à titre personnel. Un matin, on repêche le corps d'une jeune femme dans la Seine. C'est le commissaire Bornec qui est chargé de l'enquête. Il faudrait commencer par identifier la victime, ce qui s'avère vite impossible. Cette malheureuse n'a pas beaucoup d'importance, et en haut lieu, on aimerait bien valider la thèse de l'accident, bien commode. Funel et Bornec vont tous les deux s'intéresser au cas, jusqu'à l'obsession. 

Comment ce fait divers s'inscrit-il dans le contexte social de l'époque ? C'est la réponse à cette question que vont rechercher Funel et Bornec. Funel, combatif, va s'intéresser de près au prix du sucre qui subit une flambée sans précédent, aggravant la situation économique des plus fragiles. C'est la raffinerie de la Jamaïque qu'il a dans le collimateur... L'entreprise est installée à Paris, dans le 13e rue Nationale, et emploie beaucoup de travailleurs dans des conditions peu enviables. Très vite, Funel va s'intéresser à cette étrange hausse des prix, qui n'a en réalité aucune cause naturelle, contrairement à ce que prétendent les raffineurs, et découvrir des manœuvres où industriels et politiques avancent main dans la main. 

La raffinerie du boulevard de la Gare (source : Wikipedia)

Alexandre Courban a choisi de présenter son premier roman sous la forme d'une sorte de journal de bord qui couvre les mois de février à juin 1934 et rend compte des événements et des enquêtes de ses deux principaux protagonistes. Il "colle" à la réalité de l'histoire tout en créant deux personnages romanesques attachants et proches du terrain : ce choix lui permet d'offrir au lecteur une véritable reconstitution à hauteur d'homme de ce qu'était la société française cette année-là. Les descriptions des lieux sont évocatrices, les dialogues et leur vocabulaire plongent le lecteur dans l'atmosphère de l'époque, et la jeune femme assassinée sert de "fil rouge" émouvant à la progression de l'intrigue. Le contexte est très documenté, l'intrigue solidement ancrée dans son environnement, et l'auteur a à cœur de rappeler la réalité des luttes de cette année-là, sans oublier de citer, en forme d'hommage, les noms des victimes tombées lors des manifestations. 

Alexandre Courban a choisi de se pencher sur une période agitée pour la France sur le plan de la politique intérieure, au moment où, de l'autre côté de la frontière, un certain Adolf Hitler monte en puissance puisqu'en août 1934, il remportera haut-la-main un plébiscite qui lui permettra de s'affirmer en tant que chancelier et  président du Reich. Ce roman, le premier d'une trilogie, s'apparente à un témoignage sur une époque trouble et riche en combats politiques qui déboucheront, en 1936, sur l'avènement du Front Populaire, et nous rappelle  ce que nous devons à nos grands-parents. Ce qui est loin d'être inutile par les temps qui courent...

Alexandre Courban sera présent au Festival du Goéland Masqué, du 18 au 20 mai à Penmarc'h (29).

Alexandre Courban, Passage de l'Avenir, 1934, Agullo éditions



2 commentaires:

  1. Auteur invité au "goéland" peut-être , un roman à découvrir

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    1. Tout juste ! En entretien avec Hannelore Cayre et Gwenaël Bulteau samedi 18 mai à 18h.

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