20 novembre 2025

Frédéric Andrei, "L'homme assis au carrefour de Chabottes" : un roman aussi surprenant que son titre

 


Un sleuther, vous savez ce que c'est ? Si vous êtes anglophones, vous avez fait la relation avec "sleuth", le limier, mais vous n'avez fait que la moitié du chemin. Un sleuther, nous dit la quatrième de couverture, c'est un amateur qui mène l'enquête sur internet. Un privé en chambre, en quelque sorte. Présenté comme ça, cela nous suggère un geek au teint pâle, qui ne sort pas de sa chambre et de son bureau, et qui essaie désespérément de faire de l'ombre aux enquêteurs "officiels", mais aussi de se mettre dans la lumière, espérant tomber sur l'affaire qui le rendra célèbre. Erreur !

Frédéric Andrei n'en est pas à son coup d'essai puisqu'il en est à son quatrième roman. Il a de nombreuses cordes à son arc : comédien, réalisateur, producteur, vous l'avez sûrement déjà rencontré sur un écran ou une scène. Pour cet Homme assis..., il a choisi à la fois la modernité, l'énigme policière et le jeu avec le lecteur, qu'il pousse volontiers dans ses retranchements. 

16 novembre 2025

Macha Séry, "Patriotic School" : nid du contre-espionnage britannique


Macha Séry, dont on a longtemps savouré les critiques littéraires dans Le Monde, n'en est pas à son premier livre. En revanche, c'est son premier roman à paraître dans la prestigieuse "Série noire" et dès les premières pages, on retrouve avec bonheur son style à la fois sophistiqué, précis et décalé, son attention aux détails et son goût pour l'histoire et les histoires. Drôle d'affaire que cette Patriotic School, haut lieu du MI5, où se déroule cette chronique entre janvier 41 et novembre 42. Nid d'espions ? Pas exactement. Joseph Kessel lui-même y séjourna, et l'évoque aussi bien dans ses souvenirs de guerre que dans le Bulletin de l’Association des Français libres  (n° 1, décembre 1945).  Dans le prologue, l'autrice nous raconte l'histoire de ce lieu, cadre romanesque idéal, dont la première pierre fut posée en 1857 par la reine Victoria et qui avait pour vocation d'accueillir les filles des soldats morts au front. Ce digne lieu fut le cadre d'abus aussi bien financiers qu'humains : les jeunes filles  y étaient pour le moins maltraitées, on déplorait des vols et des fugues, certains bénévoles recevaient en réalité une jolie rémunération. La bonne société fit ce qu'il fallait pour cacher ces infamies sous le tapis... En 1914, le site fut converti en hôpital militaire et c'est en 1939 qu'il trouva sa vocation : "filtrer réfugiés et futures recrues pour les forces alliées." C'est donc par là que passaient tous ceux qui, presque toujours sans papiers, s'opposaient à l'Allemagne nazie et trouvaient refuge au Royaume-Uni, pour que les officiels puissent vérifier leur bonne foi et leur histoire. Des séjours plus ou moins longs selon la complexité de leur parcours, plus ou moins supportés suivant leur résistance à cet emprisonnement qui ne disait pas son nom. Ainsi se retrouvaient, dans cette étonnante tour de Babel, des hommes de tous âges et de toutes origines géographiques et sociales.

28 septembre 2025

Léo Cairn, "Naissance de l'incendie" : singulier, bouleversant, un roman pour les survivants


Léo Cairn est psychiatre... et romancier : on lui doit un premier roman remarquable, Une Thérapie, paru en 2023 (voir chronique ici). Avec Naissance de l'incendie, il s'est attaqué à une entreprise audacieuse, aussi risquée que bouleversante, et nous confie un roman qui en renferme plusieurs, autant que les personnages principaux qui l'habitent. Le narrateur est psychiatre au Centre de Traitement des Brûlés. 

C'est par lui que vont nous parvenir les histoires de ces malades bien particuliers, ceux dont les corps et les visages portent la trace indélébile de leurs tragédies personnelles, ceux dont la vie est marquée à jamais par ce qui leur est arrivé, et qui, à jamais, susciteront plus de peur que de compassion... 

24 septembre 2025

Andrew O'Hagan, "Caledonian Road" : transfuge de classe à Londres dans les années 2020

 

J'entends une petite voix me chuchoter : "pssst, on est loin du polar, là! Et du roman noir aussi..." Vraiment ? Vous vous rappelez le roman de Dominic Nolan, Vine Street ? Où l'auteur nous racontait la vie des bas-fonds et de la pègre londonienne des années 30 aux années 90? Aujourd'hui, tout a changé : entre la haute société anglaise et la pègre internationale, des liens se sont noués, consolidés, bouleversant ainsi le système de classes si typique de la société britannique. Et l'Écossais Andrew O'Hagan, qui nous avait déjà offert les magnifiques Éphémères en 2024, est un observateur hors pair de cette société-là et de ses mutations. 

Le roman se déroule au lendemain de la crise du Covid. Le personnage principal, Campbell Flynn, 52 ans, a grandi dans une cité pauvre de Glasgow, et a réussi à se faire une jolie place dans le milieu très exclusif des experts en art grâce à un livre qu'il a consacré à Vermeer. Marié à Elizabeth, une thérapeute liée à la famille royale, très amoureux de cette femme formidable qui le lui rend bien, Campbell navigue entre livres, articles, travail pour le milieu de la mode et podcasts à succès, tout en enseignant au département d'anglais de l'University College de Londres. 

23 septembre 2025

Frédéric Paulin : suite et fin d'une remarquable trilogie

Que s'obscurcissent le soleil et la lumière vient de paraître, clôturant ainsi la trilogie que Frédéric Paulin consacre à la guerre du Liban. Nul ennemi comme un frère, sorti en été 2024 (voir la chronique ici) couvrait la période 1975-1983 et faisait oeuvre de pédagogie, à la fois en s'efforçant de faire le point sur la situation du Liban, ses cohabitations plus ou moins harmonieuses, ses inégalités criantes, sa mosaïque religieuse et les mécanismes à l'oeuvre pour déclencher la guerre civile en 1975. L'auteur y présentait également les personnages qui vont nous accompagner tout au long des trois livres, les positionnant de façon aussi stratégique que dramatique sur son échiquier politique et romanesque. 

18 août 2025

Tana French, "Le chasseur de feu" : un père encombrant


Trois ans déjà depuis la publication en français de La colline aux disparus (voir chronique ici ). Trois ans qu'on se demandait si l'autrice allait donner une suite à cette chronique du village irlandais où se sont rencontrés Cal, ex-flic de Chicago venu passer sa retraite et trouver la paix dans la campagne environnant le village d'Ardnakelty, la jeune Trey, ado sauvageonne au caractère bien trempé, Lena, Noreen et tous les autres. C'est chose faite avec Le chasseur de feu. Cal a pris ses marques, même si les habitants de ce village au pied des montagnes gardent encore quelques secrets pour lui. Trey a pris quelques années, et a affirmé sa farouche soif de liberté. Elle échappe à la difficile vie de famille qui est la sienne en travaillant avec Cal : tous deux ont monté une petite affaire de menuiserie qui marche plutôt bien. Ils réparent et rénovent les chaises et les meubles des habitants du coin, et entretiennent une relation qui ressemble fort à celle qui unit un père à sa fille, d'autant que le père biologique de Trey est aux abonnés absents : il ȧ laissé toute sa petite famille pour partir vivre sa vie ailleurs. Cal, lui, a trouvé l'âme soeur en la personne de la charmante Lena : ces deux-là ne vivent pas ensemble mais construisent, petit pas par petit pas, une relation solide. Et puis il y a Noreen, l'épicière du coin, soeur de Lena, qui sert de gazette au village et qui n'ignore rien de ce qui s'y trame et de ce qu'on y dit.

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