La Manufacture de livres inaugure une nouvelle collection, "La Manuf" : "rapidité de l'action, peinture précise de personnages dans des histoires qui permettent de radiographier le monde d'aujourd'hui", tel est le cahier des charges auquel adhère parfaitement La Petite fasciste, sans pour autant nuire à l'originalité de Jérôme Leroy, dont on connait le goût pour les thrillers politiques. Il y a quelques années, il publiait chez le même éditeur La Petite Gauloise, sorte de dystopie dérangée aux accents prémonitoires. Aujourd'hui, avec La Petite fasciste, on ose à peine parler de dystopie: la France est en crise - la mère de l'héroïne s'interroge : "on dit que le Dingue va dissoudre l'Assemblée" - l'extrême-droite connaît un essor inquiétant et surtout s'affranchit de tous ses complexes.
Le roman commence par… une boucherie : un homme de main tue froidement six personnes qui font la fête dans une villa de Fort-Mahon. Six personnes qui n'avaient qu'un seul tort : celui de se trouver là où il ne fallait pas. Car le tueur s'est trompé de maison, mais a décidé de ne pas laisser de témoins. Il ne l'emportera pas en paradis, comme on dit…
Il est temps maintenant de faire la connaissance de l'héroïne : Francesca Crommelynck ne correspond pas au stéréotype des militants d'extrême-droite : à vingt ans, elle est en khâgne, spécialité lettres classiques, aime bien Jules Laforgue, vit encore chez ses parents à Frise, petite ville du Nord. Son père Eusebio, militant du Bloc Patriotique, prépare sa campagne pour les prochaines élections contre Patrick Bonneval, socialiste un brin solitaire et cible ratée du tueur des premières pages… Sa mère, elle, est d'origine italienne. Et tous les deux sont d'ardents partisans du Bloc. Leur fils aîné, Nils, a 15 ans de plus que notre petite fasciste, et il travaille dans la société de sécurité Crommelynck, où père et fils emmènent la petite Francesca le dimanche pour lui apprendre à tirer. Bref, chez les Crommelynck, l'extrême-droite est une seconde nature. Ce qui n'empêche pas la jeune Francesca de tomber amoureuse de Jugurtha Aït-Ahmed, son ami d'enfance devenu son premier amour. Jugurtha et Nils mourront tous les deux, à quelques jours d'intervalle, Francesca a 14 ans…
Quelques années plus tard, Francesca passe ses soirées au Bouclier, le QG des Lions des Flandres, et du Chef, quinquagénaire plus malin qu'il n'y paraît, témoin de la mort de Nils. Quelque part, à Paris et ailleurs, les politiques font semblant de maîtriser la situation. Le Dingue a dissout pour la troisième fois. La première ministre Louise Michel fait son sale boulot, et une certaine Tarentule fait semblant de tirer les ficelles. Quant à Machecourt, objet de toutes les méfiances et de tous les recours, plus personne ne compte sur lui. La Petite fasciste brosse de la classe politique un portrait aussi grimaçant qu'un tableau d'Ensor, mais inscrit aussi la région du Nord au cœur du récit, avec une conscience particulière des vies fracassées par la violence économique, de la désespérance mais aussi du charme poignant des paysages et de la mer du Nord. Le lecteur pourra éprouver une gêne diffuse en s'apercevant qu'il est en train de s'attacher au sort d'une jeune fasciste : c'est qu'aujourd'hui, il n'est plus aussi facile qu'hier de stigmatiser sans chercher à comprendre. Jérôme Leroy qui connaît aussi bien la vie politique que la sensibilité adolescente, sait dévoiler la beauté, la tristesse et la vitalité d'une région en souffrance. Et puis, bien sûr, il y a l'amour. Inattendu, presque incongru, qui va tordre le cou aux clichés et transformer la petite fasciste - qui ne l'est plus du tout - en héroïne fugitive face à un chaos politique sans précédent. "Chaque chose en son temps, non?", conclut le narrateur, pas dupe, à la fin de ce roman riche en ironie tantôt douloureuse, tantôt cocasse, et en clins d'oeil complices envers un lecteur qui succombe avec délices aux subterfuges de l'auteur.
Jérôme Leroy, La Petite fasciste, collection "La Manuf", La Manufacture de livres
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