16 août 2025

"Bombay Beach Californie" : le meilleur roman de Dominique Forma ?


 J'enlèverais volontiers le point d'interrogation au titre de cet article. Tout simplement parce que Dominique Forma signe là un roman extrêmement personnel, profondément original et réellement fascinant. Le roman commence au Canada, à Vancouver, cette ville cosmopolite et pittoresque qui n'a pas séduit que Véronique Sanson puisque Jane et Louis Fay y ont ouvert une galerie très politiquement correcte qui explore les trésors de l'art amérindien. C'est là que le journaliste star Robert Clark décide d'aller poser ses caméras. "C'est presque Hollywood qui s'installe à la Fay Art Gallery" : oui, la réussite est télégénique. C'est là aussi que commence la grande dégringolade que le roman nous invite à suivre, nous autres pauvres lecteurs d'abord incrédules, puis accrochés, et enfin sidérés. Car Jane et Louis sont ambitieux, et tombent avec une facilité déconcertante dans le piège qui leur tend les bras : les voilà embarqués dans une aventure aux couleurs scientifiques, investissant dans une affaire fumeuse de casque de réalité virtuelle inventé par Benjamin Rickler, un geek pas vraiment fait pour le monde des affaires, et qui se termine dans l'horreur absolue.

Plus d'investisseurs, plus d'amis, plus un sou, la justice qui les menace après avoir mis en pièces Benjamin Rickler, la presse qui guette  : notre couple n'a plus qu'une chose à faire. Fuir. Dans un autre roman, on aurait sans doute assisté à l'effondrement, puis à la rédemption de deux brillants startuppers qui finissent par s'en sortir. Mais nous sommes dans Bombay Beach Californie. Et le couple n'en est bientôt plus un. Après avoir franchi la frontière, ils s'aperçoivent que leur histoire commence à faire du bruit aux Etats-Unis aussi. Destination le Mexique, via Los Angeles. Et la suite, "une vallée désertique oubliée des hommes", autour du lac salé de Salton Sea, avec ses poissons morts, ses bateaux échoués, sa pollution extrême. Sous un soleil de plomb. Est-ce qu'on peut mourir de soif en Californie du sud ? Non, si on est prêt, comme Jane, à lâcher 400 $ à un sale type pour deux bouteilles d'eau. Et à larguer, comme elle, son mari seul en plein désert, avant de filer avec la voiture. C'est beau l'amour.

Alors, à quel personnage Dominique Forma va-t-il choisir de s'attacher ? Jane la garce, Louis le minable ? Ce sera Louis, bien sûr, abandonné sans un sou en plein désert brûlant. Un vrai chemin de croix. Et surtout l'occasion de rencontrer, outre des paysages aussi hostiles qu'hallucinants, des personnages improbables, des paumés magnifiques, des salauds pas très malins, des criminels sans scrupules, des hommes qui ont tout perdu, des gens qui vivent dans un autre monde, à quelques miles des mirages californiens et de la ville des mensonges : c'est avec ces gens-là que Louis va faire son chemin, sorte de rédemption en forme de course d'obstacles et d'apprentissages cuisants. Chaque rencontre constituant un épisode de plus dans l'aventure chaotique d'un homme qui a tout perdu et n'a donc plus rien à perdre. 

A lieux inconcevables, habitants du même tonneau : comportements imprévisibles, vies éclatées, Louis va tout connaître, jusqu'à l'horreur, et va même finir par retrouver son épouse perdue, qui ne s'en est pas mieux sortie que lui. Maîs surtout, Louis va rencontrer la petite Aurora. Et l'auteur qui vient de nous promener pendant près de 200 pages sur le dos d'une fiction hallucinée, se permet une pirouette vers le réel, et termine son roman là où en 2012, un fait divers traumatisera pour longtemps la ville d'Aurora, Colorado. Pirouette tragique, où le réel violent vient finalement conclure dans une cohérence parfaite et paradoxale le parcours romanesque et stylé que vient de nous offrir Dominique Forma. Un sacré roman.

Dominique Forma, Bombay Beach Californie, La Manufacture del ivres       


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