29 avril 2021

Adrian McKinty, Ne me cherche pas demain : Sean Duffy et le MI5


Quelle joie de retrouver Sean Duffy, flic à Carrickfergus, non loin de Belfast ! Il y a quelques semaines encore, Belfast s'embrasait, révélant le déchirement de l'Irlande du Nord face au Brexit : le retour d'Adrian McKinty est une bonne façon de se rappeler que la question irlandaise n'est pas une affaire classée. Après Une Terre si froide et Dans la rue j'entends les sirènes, l'inspecteur, catholique au milieu d'une police majoritairement protestante, n'a plus le cul entre deux chaises, mais il est carrément tombé entre les deux. Sa dernière affaire ne lui a pas valu que des amis, et le voilà prié de se mettre au vert ou, pour le dire clairement, radié de la police. Le motif officiel ne tient pas, les accusations qu'on lui oppose pas davantage : en réalité, Duffy dérange tout le monde et on est bien content, en haut lieu, d'en être débarrassé... Que fait un inspecteur irlandais radié de la police ? Pas grand-chose : boire, fumer, écouter de la musique, vérifier que sa voiture n'est pas piégée... La déprime menace. 


Jusqu'à ce jour de 1984 où le MI5 décide qu'on a besoin de lui pour retrouver la trace d'un homme de l'IRA, Dermot McCann, qu'on soupçonne d'avoir pris la direction d'un groupe de terroristes entraînés en Syrie et bien décidés à semer la terreur. McCann est un ancien camarade de Duffy. C'est même lui qui a empêché Duffy de s'engager lui aussi dans le combat quand ils étaient tous deux étudiants : il ne lui faisait pas confiance et Sean aura bien du mal à lui pardonner son jugement. C'est dire si leur relation était profonde et complexe... Sans McCann, la vie de Sean aurait peut-être pris une tout autre tournure. Duffy négocie un accord qui lui convient, et une condition incontournable : son retour au sein de la police, à son poste d'inspecteur. Au Royaume-Uni, Margaret Thatcher est au pouvoir, et elle n'est pas du genre à faire du sentiment. Retrouver McCann, c'est donc une priorité. Et, en même temps, la mission implique que Duffy se rapproche de la famille de McCann, de ses amis, ce qui ne va pas être franchement une partie de plaisir. Comment Sean Duffy, le traître, l'homme de la police royale, pourrait-il être accueilli au sein de ce milieu-là ? Duffy a plus d'un tour dans son sac, et il va devoir trouver la faille, celle qui va peut-être lui permettre d'avancer, lentement, en rampant et en ferraillant, jusqu'à son but. Le chemin ne sera pas de tout repos, et cette affaire-là sera celle de tous les dangers. Pour corser le tout, Adrian McKinty double son intrigue d'un mystère de chambre close qui n'a rien à envier aux meilleurs... 

Carrickfergus, vue du port (photo Pastor Sam, Wikimedia Commons)

Débusquer son ami d'autrefois avant qu'il ne déclenche le chaos, débrouiller une affaire criminelle vieille de quatre ans : du pain sur la planche pour Sean Duffy. Se replonger dans le milieu qui l'a vu grandir, revoir celles et ceux avec lesquels il vivait lorsqu'il était étudiant, faire le plein d'émotions contradictoires, trouver l'assassin de Lizzie Fitzpatrick, fille de l'ex-belle mère de Dermot McCann, dont le meurtre n'a jamais été élucidé: s'il n'y parvient pas, il ne saura pas où se trouve McCann, c'est aussi simple que cela. Voilà deux intrigues dépendantes l'une de l'autre, aux enjeux différents mais finalement terriblement intriquées : c'est tout le savoir-faire d'Adrian McKinty qui se déploie. Malgré l'ambiguïté de la personnalité de Duffy, le lecteur s'attache à lui, à son humour froid, à sa solitude, à son caractère de chien, à ses mauvaises habitudes et à sa culture, s'interroge sur ses motivations et sur l'histoire qui est la sienne, qui l'a amené, lui, l'Irlandais du nord catholique, à devenir flic de la Reine.  On croit le comprendre, il nous surprend. On croit le connaître, il nous tourne le dos. On le croit au bout du rouleau, il rebondit et mène sa mission héroïque jusqu'au bout, au risque d'y perdre la vie...  

Il nous a manqué, Sean Duffy, ça n'est rien de le dire, et c'est un plaisir de penser qu'à ce jour, il reste encore quatre épisodes non traduits, toujours avec des titres originaux empruntés à Tom Waits. A vrai dire, on a à peine tourné la dernière page de Ne me cherche pas demain - formidablement traduit par Laure Manceau - qu'on a envie de lire la suite : quel plus beau compliment faire à un romancier ?

Adrian McKinty, Ne me cherche pas demain, traduit par Laure Manceau, Actes Sud / Actes noirs

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