11 septembre 2024

Jurica Pavičić, "Mater Dolorosa" : L'amour (maternel) à mort


Après L'eau rouge et La femme du deuxième étage, voici le troisième roman traduit en français du Croate Jurica Pavičić, qui, en trois ans, a remporté de nombreux prix et réussi à conquérir un public français fidèle et fervent (voir ici). On n'oubliera pas son recueil de nouvelles Le collectionneur de serpents, où il faisait un portrait saisissant de son pays et son histoire tourmentée. Avec Mater Dolorosa, il démontre une fois encore qu'il mérite largement le qualificatif de romancier féministe - qu'il accepte d'ailleurs volontiers. Dans tous ses romans, Jurica Pavičić travaille en virtuose à un équilibre entre histoire personnelle et histoire politique et sociale. Avec Mater Dolorosa, il a peut-être réussi à atteindre une forme de perfection en la matière. 


5 septembre 2024

Keigo Higashino, "La Maison où je suis mort autrefois": obsessions, identité et mémoire incertaine


Ce roman n'est pas une nouveauté, mais autant l'avouer, je me suis prise d'affection pour Keigo Higashino, et certains de ses romans se glisseront subrepticement au fil de ces chroniques, au rythme de mon exploration. La Maison où je suis mort autrefois n'est pas un polar au sens où on n'y retrouvera pas, contrairement aux deux précédents romans évoqués ici (voir ici) des enquêteurs de police à la recherche de la vérité. Dans ce roman, il est beaucoup question de mémoire, d'identité mais aussi de mensonges. Tout le contraire de la "vérité", donc. Et s'il y a une enquête, elle ne ressemble guère à une investigation policière mais bien plutôt à une recherche de soi. 

4 septembre 2024

Stéphane Grangier, "Tour mort" : cavale fatale entre Rennes et Belle-Ile

Stéphane Grangier nous a habitués dans ses précédents romans (Hollywood Plomodiern et Fioul, tous deux parus chez Goater noir) à des histoires de paumés, de dérives plus ou moins dangereuses, de violences personnelles ou quasiment institutionnelles. C'est un peu sa marque de fabrique : avec Tour mort, il nous embarque aux basques d'un trio masculin qui voudrait bien s'affranchir de la prison à laquelle sa condition sociale le condamne. Et si on braquait une banque ? Carrément. Le trio en question est constitué de trois hommes : Christian, dit DJBadChristi, le chef de la bande, celui qui pense, son vieux copain Yves, un rageux au sang chaud, et puis le jeune Ahmed, pas bavard, qui se cherche un mentor et croit le trouver alternativement chez l'un et chez l'autre. Pas des professionnels du braquage, loin de là… 

21 août 2024

Frédéric Paulin, "Nul ennemi comme un frère" : le Liban, paradis perdu ?


Entre 1975 et 1977, j'habitais une petite rue entre Opéra et Madeleine. Des professionnelles de la profession y exerçaient leur métier à bord de leur Austin Mini, toute blondeur dehors. Il n'y avait pas encore de sex shop. En revanche, en face de chez moi, il y avait un bar où il nous arrivait d'aller prendre un verre le soir. Dorures, velours écarlate, marbre et stuc : une ambiance de cocon kitsch. Dans ce bar, il n'y avait - en-dehors de nous, les voisins jeunes et inconscients - que des hommes et quelques femmes qui arrivaient du Liban (chrétiens libanais ou français expatriés). Une atmosphère à la Modiano, des conversations sur le ton de la conspiration, beaucoup de mélancolie et de colère, parfois du désespoir, comme si ces êtres-là pleuraient leur paradis perdu. Peut-être y ai-je croisé un des personnages de Frédéric Paulin - Michel Nada, chrétien du Liban qui a choisi l'exil à Paris - ou le conseiller politique Philippe Kellermann, qui a grandi au Liban et travaille à l'ambassade. Ou des hommes qui leur ressemblaient, car bien sûr, ces personnages-là sont fictifs. A l'époque, ça n'est rien de le dire, les Français ne comprenaient rien aux "événements" du Liban. Et ne cherchaient pas à comprendre : trop complexe, trop douloureux… 

14 août 2024

Adrian McKinty, Des promesses sous les balles : Sean Duffy sur le fil du rasoir


La dernière fois que je vous ai parlé d'Adrian McKinty, c'était il y a un peine un an, sur le mode dépité, après la lecture d'un thriller plus que moyen, Traqués, signé de notre irlandais préféré. L'article se concluait par un appel vibrant : "Adrian, reviens!" Eh bien voilà, mes vœux sont exaucés, McKinty est de retour et avec lui Sean Duffy, cette fois chez Fayard noir (?). Nous sommes en 1985, à Carrickfergus, non loin de Belfast. On se rappellera que dans le dernier épisode des enquêtes de Duffy, Ne me cherche pas demain (paru chez Actes sud / Actes noirs en 2021, voir la chronique ici), notre homme avait dû batailler pour retrouver sa place d'inspecteur dans la police d'Irlande du nord, et avait pris tous les risques pour mener à bien une enquête des plus tortueuses et des plus politiques. On le retrouve fidèle à ses habitudes : vérifier que sa BM n'est pas piégée, passer ses soirées entre alcool, coke, musique et solitude. 

29 juillet 2024

Liam McIlvanney, Retour de flamme : McCormack is back


En 2019, nous découvrions avec enthousiasme Le Quaker de Liam McIlvanney et son enquêteur l'inspecteur McCormack, confronté à un serial killer et surtout à une ville en pleine déréliction, Glasgow (voir la chronique ici ). Nous étions en 1969. Avec Retour de flamme, qui se déroule en 1975, on retrouve un Duncan McCormack de retour à Glasgow après avoir passé quelques années à Londres, histoire de se changer les idées et surtout de tenter d'oublier l'affaire du Quaker et ses répercussions publiques et privées. Le roman s'ouvre avec une scène courte mais marquante, digne d'une tragédie : une femme et sa fille piégées dans un appartement en flammes d'un quartier pauvre de la ville. 

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