22 mai 2023

Valerio Varesi, Ce n'est qu'un début, commissaire Soneri : "d'une sale humeur... mais dépressif, certainement pas."

Voilà la huitième enquête du commissaire en colère, écrite par Valerio Varesi en 2010. Nous sommes à Parme - bien sûr - et c'est l'hiver. Ce qui n'est pas pour déplaire à Soneri : la pluie, le froid, la brume, c'est son univers. Et pour être honnête, c'est vrai qu'on a du mal à l'imaginer en maillot de bain et lunettes de soleil sur une plage de l'Adriatique, le commissaire. Ce jour-là est un jour comme les autres, la pluie inonde les rues, le vent souffle dans tous les sens. Les inondations ont transformé la circulation en enfer urbain et trempé, les sirènes de pompiers retentissent dans tous les quartiers. Comme par hasard, au moment où j'écris ces lignes, l'Émilie-Romagne est victime d'inondations meurtrières...

À l'ordre du jour, un suicide. Autant dire rien, car les suicides ne sont pas du ressort du commissaire Soneri. Mais tout vaut mieux que la réunion chez le questeur : le suicidé s'est pendu dans un vieil hôtel en travaux. Soneri brave les intempéries et se rend sur les lieux du drame, pour s'apercevoir que ses collègues sont déjà intervenus. Ce qui l'agace très fort, car il trouve la scène du suicide un peu trop facile à lire... 

À son retour à la questure, il tombe en arrêt devant une Vespa Primavera 125 bleu pâle, accrochée à la grue d'une dépanneuse. La vision suffit à le plonger dans une nostalgie incontrôlable. Inondé par la pluie, voilà Soneri submergé par ses souvenirs de jeunesse : "l'image du jeune homme qu'il fut se souda cruellement à l'image du pendu comme dans un fondu enchaîné." Pas de suspens inutile : le suicide est plus que suspect. On ne retrouvera sur le corps rien qui aide à l'identifier, à l'exception d'une clé de Renault. Ce n'est pas une raison pour se laisser abattre : très vite, le lecteur a rendez-vous au Milord, où Soneri va s'adonner à sa passion pour les anolini au bouillon, accompagnés d'un bonarda, et du collègue Nanetti. 


Voilà comment, en 17 pages, Valerio Varesi réussit son tour de passe-passe : on retrouve un personnage familier, son humeur ombrageuse, son impatience et sa gourmandise. On retrouve la ville de Parme, ses rues, ses places et ses façades trempées. Pour autant, on n'a pas l'impression de chausser de vieilles pantoufles confortables, car dès les premières pages, on se demande où en est Soneri de sa colère et de sa révolte : comment supporte-t-il les contraintes de sa hiérarchie, les turpitudes politiques qui affectent son pays, la société qui lui convient de moins en moins bien, comment se supporte-t-il ? Où en est sa relation avec Angela ?

Un coup de téléphone va interrompre les agapes de Soneri : une attaque au couteau via Palestro. L'homme est mort. Cette fois, à coup sûr, l'affaire est pour Soneri. D'autant que l'homme est loin d'être un inconnu : "Guglielmo Boselli, dit Elmo, un des leaders du Mouvement Étudiant et du 68 parmesan". À lui seul, ce nom suffit à faire surgir chez Soneri des souvenirs du temps de la Vespa Primavera : sa réserve à la découverte du cadavre "venait de sa difficuté à fouiller une époque qui le ramenait à son intimité, une époque douloureuse, aussi sensible qu'un abcès qu'on effleure". L'homme a été assassiné dans le petit jardin de son immeuble, dans un quartier résidentiel. Sa compagne n'a rien vu... Quant à son fils, qui, lui, a choisi son camp bien à droite de l'échiquier politique, il n'a pas grand-chose à dire. L'affaire s'annonce complexe et fertile en souvenirs bouleversants. Car bien sûr, la première piste qui vient à l'esprit est politique. Il va falloir se pencher sur la vie de cet homme, retrouver ses camarades d'autrefois, comprendre ce qu'il est devenu, repenser aux années de plomb, découvrir (ou se rappeler) les destins des anciens militants, qui pour beaucoup ont allègrement renoncé à leurs idéaux de jeunesse. Et puis il y a cette vieille Vespa, qui obsède Soneri et dont on vient de découvrir qu'elle appartenait à Boselli. Hasard, coïncidence ? 

En parallèle, on va identifier le suicidé du vieil hôtel. Un jeune Roumain du nom d'Oliescu, membre d'un groupe de supporters de football adeptes d'idées d'extrême-droite. L'homme vit en Italie depuis plusieurs années et travaille aux chantiers navals de La Spezia. Les flics de la région étant débordés, c'est Soneri qui va hériter de cette affaire. Voilà Soneri et Angela embarqués dans un voyage en voiture direction Levanto, ravissante station balnéaire au nord de la région des Cinque Terre, non loin de La Spezia, dernier domicile connu d'Oliescu. Avant d'arriver en bord de mer, il faut franchir des cols de montagne : c'est dans un village montagnard qu'ils vont faire étape après s'être heurtés à des problèmes de circulation et à des chutes de neige. Le lieu est pittoresque, le patron avenant, la cuisine bonne - sanglier ou chevreuil - et le froid mordant. Il reste de la neige accrochée aux arbres. Et comme par hasard, le patron connaissait Guglielmo Boselli, qui venait souvent dans la région dans les années 70. Décidément, tout est dans tout... 

Soneri, à l'aise comme un poisson dans l'eau dans le village de montagne, même avec 30 cm de neige, va  devoir s'arracher à l'étrange séduction des lieux et plonger vers le littoral. À contrecœur : autant l'homme est à l'aise avec les brumes du fleuve, les ombres des forêts et des montagnes, autant le bord de mer lui semble hostile. Pas question de l'affronter sans s'offrir un verre de sciacchetra... "Toute cette eau me rend mélancolique." Au passage, Valerio Varesi en profite pour nous dévoiler, en confidence, un des secrets de Soneri, qui explique pourquoi la côte des Cinque Terre éveille en lui des souvenirs douloureux et personnels.

L'enquête s'annonce complexe : entre les ramifications politiques et les histoires privées, il va falloir naviguer avec habileté. Ce que va faire, bien sûr, un Soneri qui va devoir affronter les égratignures du temps qui passe, de l'histoire qui se répète, des hommes qui trompent et qui déçoivent, du système qui voudrait bien l'empêcher de trouver la vérité. 

Cette fois encore, Valerio Varesi se penche, à travers Soneri, sur l'histoire de son pays, sur les meurtrissures qu'il subit, le passé qui le hante et finit toujours par ressurgir. La vie politique italienne est difficile à supporter pour un homme tel que lui, et malheureusement l'actualité politique de l'Italie ne fait que concrétiser tous les dangers que, depuis huit romans, Varesi s'applique à mettre en lumière. Ce roman-là est particulièrement touchant en ce qu'il se penche sur une longue période difficile pour l'Italie, où attentats, enlèvements, manifestations réprimées, violences d'État et provocations ont laissé une trace indélébile sur la vie des hommes et des femmes. Malgré cela, Soneri, soutenu par une Angela plus clairvoyante que jamais, conserve son énergie, ses valeurs et son intégrité, et Varesi, encore une fois, se révèle un peintre hors pair des paysages, des lieux, des ambiances, des odeurs et des saveurs, témoignant magnifiquement de son amour pour l'Italie et de son désir d'en préserver les beautés, malgré tout... 

Valerio Varesi, Ce n'est qu'un début, commissaire Soneri, traduit par Florence Rigollet, Agullo éditions

Retrouvez Valerio Varesi au Festival du Goéland Masqué.



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