On connaît surtout François Guérif pour son rôle de créateur et de directeur de la collection Rivages / Noir qui nous a permis de découvrir, en près de 1200 titres publiés depuis sa création en 1986, une multitude d'auteurs français et étrangers, au premier rang desquels chacun trouvera ses auteurs de chevet - de James Ellroy à David Peace en passant par John Harvey, Elmore Leonard ou Robin Cook. Il y a quelques mois, les éditions La Grange Batelière nous permettaient de découvrir l'étonnante correspondance que Guérif échangea avec l'ineffable Léo Malet dans un ouvrage intitulé Mon vieux Guérif (chronique ici ). Aujourd'hui, c'est le côté cinéphile de François Guérif que l'éditeur a choisi de mettre en lumière avec ce formidable recueil d'entretiens réalisés entre 1981 et 1989 pour Télé Ciné Vidéo, Polar, La revue du cinéma, Polar magazine ou encore Pilote.
On ne s'étonnera pas de trouver parmi les interlocuteurs de François Guérif bon nombre de réalisateurs de films noirs ou de polars, comme Claude Chabrol, Brian de Palma, José Giovanni, Richard Fleischer, Sam Fuller, David Cronenberg ou John Huston. Mais ce serait méconnaître la curiosité de notre cinéphile : le recueil se penche aussi sur quelques mémorables conversations avec... Brigitte Lahaie ou Russ Meyer. Les questions sont directes, elles font mouche et savent susciter chez les interlocuteurs des réponses aussi passionnantes que surprenantes. Entre un José Giovanni qui se confie sans hésiter sur son passé qu'il qualifie de "difficile, assez aventureux" et un Chabrol toujours brillant derrière de faux airs d'humilité, qui affirme que s'il est probablement le cinéaste qui a tourné le plus de films policiers, c'est qu'il a "un vieux principe : essayer d'éviter, dans la mesure du possible, d'emmerder complètement quelqu'un à défaut de le passionner", le recueil nous révèle des aspects auxquels on n'a pas nécessairement pensé, raconte des anecdotes plus savoureuses les unes que les autres.
Guérif, on l'a dit, sait viser là où il faut et utiliser "le" mot qui va déclencher le souvenir, la réflexion, l'agacement ou le sourire. Les réponses d'un Chabrol aux questions qui touchent les auteurs qu'il a adaptés montrent un cinéaste d'une grande culture, au discernement imparable : merci à lui de rendre hommage aux "grands polars de dames", souvent oubliés, voire un brin méprisés, par les "vrais" amateurs de polars. On pense bien sûr à Patricia Highsmith, ou Charlotte Armstrong mais aussi à la très grande Ruth Rendell, à qui il faudra bien un jour restituer sa juste place - une des premières. Au fil des pages, on découvrira un Jean-Jacques Beineix d'une grande intelligence et d'une grande lucidité sur son métier de cinéaste, un Samuel Fuller qui parle de façon très émouvante de sa rencontre avec David Goodis et de sa relation avec l'écrivain, un Russ Meyer qui confie : "mes films sont bel et bien des dessins animés, tout y est excessif. Les femmes l'ont compris et apprécient aujourd'hui ce genre d'humour". L'entretien date de 1984, pas sûr que Meyer dirait la même chose aujourd'hui!
Selon qu'on le picore ou qu'on le lit de bout en bout, le livre offre à tour des "focus" sur des créateurs ou un vaste panorama sur le cinéma des années 1980, avec ses facettes innombrables et sa liberté tonique. Quelle que soit l'approche, une chose est sûre : Des moments de cinéma est un pur régal.
François Guérif, Des moments de cinéma, La Grange Batelière
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire