20 novembre 2025

Frédéric Andrei, "L'homme assis au carrefour de Chabottes" : un roman aussi surprenant que son titre

 


Un sleuther, vous savez ce que c'est ? Si vous êtes anglophones, vous avez fait la relation avec "sleuth", le limier, mais vous n'avez fait que la moitié du chemin. Un sleuther, nous dit la quatrième de couverture, c'est un amateur qui mène l'enquête sur internet. Un privé en chambre, en quelque sorte. Présenté comme ça, cela nous suggère un geek au teint pâle, qui ne sort pas de sa chambre et de son bureau, et qui essaie désespérément de faire de l'ombre aux enquêteurs "officiels", mais aussi de se mettre dans la lumière, espérant tomber sur l'affaire qui le rendra célèbre. Erreur !

Frédéric Andrei n'en est pas à son coup d'essai puisqu'il en est à son quatrième roman. Il a de nombreuses cordes à son arc : comédien, réalisateur, producteur, vous l'avez sûrement déjà rencontré sur un écran ou une scène. Pour cet Homme assis..., il a choisi à la fois la modernité, l'énigme policière et le jeu avec le lecteur, qu'il pousse volontiers dans ses retranchements. 

Le sleuther dont il va être question s'appelle Loïc Payan, il est à l'hôpital où il se remet lentement d'un "accident" qui aurait bien pu lui coûter la vie. D'ailleurs, on l'appelle "le Miraculé". L'homme est un professionnel de l'équipement des stations de ski - a priori, rien qui le prédispose à devenir sleuther ou homme à abattre. Pour l'heure, il n'est pas seul dans sa chambre : la gendarme stagiaire Gutman est là, prête à boire ses paroles et surtout à les entrer dans son ordinateur portable. Avec elle, Bastien, patron de la brigade de gendarmerie de Grenoble. Ni l'une ni l'autre ne s'estime à sa place dans cette chambre d'hôpital. Chloé Gutman parce qu'elle n'est que stagiaire et qu'elle apprécie peu qu'on la lâche dans la fosse aux lions sans lui dire quoi que ce soit sur les tenants et les aboutissants ; Bastien parce qu'il estime que ce n'est pas son boulot. Cette affaire, apparemment, n'est pas à prendre avec des pincettes.

C'est pourtant Chloé Gutman qui va livrer au lecteur la majeure partie de cette histoire, à travers les réponses de Loïc Payan. C'est assez malin : la jeune femme n'a pas d'expérience, pas grand-chose à perdre, et néanmoins suffisamment de curiosité et d'amour-propre pour mettre les pieds dans le plat et oser poser les questions qui fâchent. Loïc Payan, le sleuther, s'est mis en bien mauvaise posture. L'affaire se déroule en plusieurs étapes. La première, classique : le meurtre d'une randonneuse dans les environs, qui suscite sa curiosité et lance le processus. Car un sleuther ne travaille pas seul : internet est une ressource infinie en matière de passionnés de tout poil, et bien sûr de sleuthers

Loïc crée donc un petit groupe d'enquêteurs, dont il devient le "boss". Ils sont partout, de tout genre, de toutes professions, et partagent leur passion, sous pseudo bien sûr, de la chasse au coupable ou au scandale. Si l'on est optimiste, on trouvera la chose innocente et, pourquoi pas, utile. Si l'on est pessimiste, on redoutera le terrible effet "réseau". Derrière son pseudo ou son écran, ne peut-on pas s'inventer une personnalité, une vie ? Ne peut-on pas dissimuler de sinistres desseins ? Ne peut-on pas laisser libre cours à toutes les déraisons ? A commencer par Loïc, qui se prend au jeu, entrainant même sa femme dans l'affaire - mauvaise idée ! Pour la première fois de sa vie, Loïc est le boss. Pour la première fois, il a l'impression de jouer un rôle important dans ce monde prompt à aplatir tout ce qui dépasse. Ce meurtre ne ferait-il pas partie d'une série criminelle ? Le groupe ne serait-il pas confronté à un serial killer? Les questions se multiplient, les réponses aussi, y compris les plus rocambolesques. 

Un jour, au carrefour de Chabottes, Loïc bascule dans le réel et la deuxième étape de son histoire. Son enquête, il va la faire dans la vraie vie... Dans la chambre d'hôpital, Chloé continue à prendre consciencieusement ses notes, toujours à l'aveugle puisqu'on ne lui dit rien. Et un jour, arrive un troisième larron : le colonel Cardot, dépêché sur place pour mener l'enquête et l'interrogatoire à un niveau supérieur. Une affaire d'État ? La question se pose et Chloé Gutman, bientôt, n'y tient plus. Et si elle s'en mêlait, elle aussi ? Et voilà comment un fait divers tragique mais banal prend une tournure dramatique. Tout au long de l'enquête et de l'interrogatoire, on assiste à des développements, des retournements de situations, des coups de théâtre, des fausses pistes, on découvre des méchants très méchants, de véritables imbéciles, des secrets de polichinelle. Le tout à travers la plume d'une Chloé dont on se demande si, à la fin, elle va persévérer dans la carrière de gendarme! Frédéric Andrei nous entraîne donc dans une aventure où on ne s'ennuie pas un instant, tout en soulevant avec distance et un certain humour quelques lièvres, histoire de faire réfléchir le lecteur au pouvoir des réseaux, aux dérives des puissants et au jeu pervers des apparences. 

Frédéric Andrei, L'homme assis au carrefour de Chabottes, La Manufacture de livres

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