Il est encore temps de vous souhaiter une bonne année, alors voilà: que 2022 vous soit plus douce que 2021, c'est tout le mal que je vous souhaite.
Avant de nous jeter tête la première dans la grande marée des nouveautés de ce début d'année, j'aimerais bien vous parler de deux livres "hors actualité", mais qui méritent une bonne place sur les étagères de tous les amateurs de polars. Deux pépites publiées par une même maison d'édition, La Grange Batelière, qu'on n'a pas trop l'occasion de citer ici mais qui, avec ces deux livres-là, mérite à coup sûr votre attention, ne serait-ce qu'à cause des rééditions bienvenues des romans de Régis Messac, dont on reparlera bientôt.
Commençons par "Léo Malet : mon vieux Guérif - Lettres et dédicaces pour "collectionneurs avertis". Ce recueil de correspondance entre Léo Malet et François Guérif couvre la période 1972-1989. On y découvre la naissance d'une relation entre le futur éditeur de Rivages / Noir et le père de Nestor Burma, la construction d'une amitié. Léo Malet, mort en 1996, est à ce moment-là à un tournant difficile de sa carrière : il a besoin de reconnaissance, d'amitié aussi. Et c'est exactement ce que va lui apporter sa relation avec François Guérif. Ce dernier, dans sa postface, confie qu'en 1971, il n'avait pas encore lu un seul titre de Malet. Mais il songeait à un projet de livre sur le cinéma policier français qui ne verra jamais le jour (dommage!), et c'est Albert Simonin qui lui conseilla de s'adresser à Léo Malet. C'est pour ce projet qu'il approchera pour la première fois l'auteur ronchon, drôle, amer et pour le moins déçu par ses multiples tentatives pour reprendre la place que, selon lui, il n'aurait jamais dû quitter en tête des auteurs de polars français.
Reproduites en fac similé, les lettres de Malet sont soit tapées à la machine, signées à la main, parfois illustrées de dessins ou de collages un brin coquins, soit manuscrites sur un papier à lettre à l'en-tête de Nestor Burma, détective. Malet s'adresse soit à l'éditeur François Guérif, soit au rédacteur en chef de la revue Polar, à laquelle Malet participe de temps en temps, notamment, en 1982, sous la forme d'une aventure inédite de Nestor Burma où le mystère à élucider concerne... Léo Malet lui-même.
L'auteur rageur raconte les vicissitudes qu'il doit affronter s'agissant des hypothétiques adaptations cinématographiques de son oeuvre. Pendant la période couverte par le recueil, deux films sortiront : en 1976, La Nuit de Saint-Germain-des-Prés, réalisé par Bob Swain, avec Michel Galabru (Nestor Burma) et en 1981 : Nestor Burma, détective de choc, réalisé par Jean-Luc Miesch, adaptation du roman M'as-tu vu en cadavre ?, avec Michel Serrault (Nestor Burma) mais aussi Guy Marchand et... Alain Bashung.
De déjeuners en missives, on voit se dessiner, à travers quelques noms propres qui nous disent quelque chose, l'univers du polar à Paris dans ces années-là. Le foisonnement des publications, des collections, des maisons d'édition plus ou moins éphémères, avec des personnages passionnés, connaisseurs, pittoresques : en filigrane s'esquisse une partie de l'histoire du polar français, et c'est aussi passionnant que drôle. Car Malet ne rate jamais l'occasion de jouer du calembour ou de s'en prendre à quelqu'un qu'il n'estime pas - et ils sont nombreux - sur un ton vachard, mais toujours cocasse. Il n'a rien oublié de son passé surréaliste. Et à travers ces lettres, on ressent aussi la solitude d'un homme, surtout après la mort de sa compagne de longue date.
La deuxième partie du livre reproduit des interviews de Malet menées par Guérif, où l'écrivain n'hésite pas à confier son goût pour la lingerie coquine, mais avoue aussi qu'il ne goûte guère les films porno pour la simple raison qu'au cinéma, il s'endort... Enfin, la dernière partie, intitulée "Dédicaces pour "collectionneurs avertis"" est constituée d'une série de dédicaces de Malet à Guérif, personnalisées par des collages de photos franchement porno. Un livre joliment imprimé, une belle mise en pages, un papier bien choisi : l'objet est digne de son contenu, et propose une promenade passionnante dans la tête d'un auteur.
Le second ouvrage est un livre d'images, un livre de Belles rencontres, comme son titre l'indique. Si vous fréquentez les salons du polar, vous aurez à coup sûr croisé deux chasseurs d'images à l'affût. Leurs proies (consentantes) ? Les auteurs de romans policiers. Leurs noms ? Xavier Hacquard et Vincent Loison, alias les "Pictos". Préfacées par Jean-Bernard Pouy, ces Belles rencontres proposent 44 photos d'auteurs francophones, avec, sur la page de gauche, quelques lignes écrites par les modèles où ils évoquent leur première rencontre avec les Pictos, parfois leur détestation de se faire photographier, puis la construction, au fil des rencontres, d'une complicité avec les deux lascars et leur drôle de fauteuil rouge. Du beau noir et blanc, des ombres profondes qui conviennent bien à l'univers du polar, des poses sérieuses ou rigolardes, les modèles se cachent soit derrière une rubalise "Crime scene", soit derrière une ardoise sur laquelle ils ont écrit ou dessiné ce qui leur passait par la tête, ou plus simplement, justement, derrière le noir et blanc lui-même, confiant aux photographes leur image sans artifice. Et c'est justement cette confiance et cette complicité qui font de ces portraits, à mi-chemin entre instantanés spontanés et portraits posés, des moments précieux, des captures d'instants et de regards.
Les modèles : Barbara Abel, Hafed Benotman, Laurence Biberfeld, Jean-Luc Bizien, Marion Brunet, Hervé Commère, Pascal Dessaint, Caryl Férey, Dominique Forma, Sébastien Gendron, Laurent Guillaume, Christophe Guillaumot, Sophie Hénaff, Nathalie Hug et Jérôme Camut, Nicolas Jaillet, Nicolas Lebel, Marin Ledun, Jérôme Leroy, Sophie Loubière, Marcus Malte, Ian Manook, Dominique Manotti, Eric Maravelias, Elsa Marpeau, Nicolas Mathieu, François Médéline, Michaël Mention, Claude Mesplède, Benoît Minville, Nadine Monfils, Colin Niel, Olivier Norek, Jean-Hugues Oppel, Frédéric Paulin, Elena Piacentini, Jean-Bernard Pouy, Patrick Raynal, Benoît Séverac, Danielle Thiéry, Franck Thilliez, Jean-Christophe Tixier, Antonin Varenne, Marc Villard, Marie Vindy.
Léo Malet "Mon vieux Guérif", postface de François Guérif, éditions La Grange Batelière
Xavier Hacquard et Vincent Loison, Belles rencontres, préface de Jean-Bernard Pouy, éditions La Grange Batelière
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