12 mai 2025

Jérôme Leroy, "La Petite fasciste" : conte moral ?


La Manufacture de livres inaugure une nouvelle collection, "La Manuf" : "rapidité de l'action, peinture précise de personnages dans des histoires qui permettent de radiographier le monde d'aujourd'hui", tel est le cahier des charges auquel adhère parfaitement La Petite fasciste, sans pour autant nuire à l'originalité de Jérôme Leroy, dont on connait le goût pour les thrillers politiques. Il y a quelques années, il publiait chez le même éditeur La Petite Gauloise, sorte de dystopie dérangée aux accents prémonitoires. Aujourd'hui, avec La Petite fasciste, on ose à peine parler de dystopie: la France est en crise - la mère de l'héroïne s'interroge : "on dit que le Dingue va dissoudre l'Assemblée" - l'extrême-droite connaît un essor inquiétant et surtout s'affranchit de tous ses complexes. 

Le roman commence par… une boucherie : un homme de main tue froidement six personnes qui font la fête dans une villa de Fort-Mahon. Six personnes qui n'avaient qu'un seul tort : celui de se trouver là où il ne fallait pas. Car le tueur s'est trompé de maison, mais a décidé de ne pas laisser de témoins. Il ne l'emportera pas en paradis, comme on dit… 

5 mai 2025

Nicolas Jaillet, "Je suis de mon cœur le vampire" : énigme littéraire ou roman noir ?


Avec Nicolas Jaillet, la surprise est toujours au rendez-vous. Avec le temps, ce côté insaisissable va finir par devenir une marque de fabrique ! Cette fois, il revisite à sa manière la série Pierre de Gondol initiée par Jean-Bernard Pouy dans les années 2000, une suite d'énigmes littéraires livrées à la curiosité de l'hôte de la plus petite librairie de Paris, Locus Solus. Notre homme n'est pas au mieux de sa forme : par les temps qui courent, une librairie comme celle-là n'a pas beaucoup de chances de survivre. Qui s'intéresse encore aux vieux papiers, "aux éclopés de la littérature, aux illustres fantômes (…) Homère, Shakespeare, le professeur Choron…"? Qu'est-ce qui pourrait bien redonner au libraire énergie et curiosité ? Un mystère littéraire, l'apparition d'un drôle de fantôme lié à Charles Baudelaire, la disparition de son ex ? Les trois à la fois ? Nicolas Jaillet n'est pas homme à économiser ses effets : ce sera les trois à la fois.

9 avril 2025

Christophe Siébert, "Une Vie de saint" : naissance d'une mythologie

Bienvenue à Mertvecgorod, ses oligarques, ses politiques pourris, ses esclaves, sa pollution galopante, sa brume aussi sale que permanente. Comment expliquer l'attraction malade qu'exerce sur le lecteur ce lieu cauchemardesque dont Christophe Siébert écrit l'histoire depuis 8 romans maintenant ? En guérissant le mal par le mal, c'est-à-dire en lisant Une Vie de saint, sans doute une étape majeure dans cette aventure littéraire à nulle autre pareille. Car ici, nous assistons à la naissance d'une mythologie, celle qu'engendre Nikolaï le Svatoj, être protéiforme, doué d'autant de vies qu'un chat, mais aussi d'autant de morts, violentes de préférence. Le roman commence le 27 avril 2025 (c'est dans 15 jours…). A Mertvecgorod, c'est l'apocalypse : un drone porteur d'une bombe incroyablement destructrice s'abat sur l'échangeur géant et s'écrase sur la cathédrale qui se trouve en-dessous. Le tout situé dans un quartier particulièrement pourri de la ville-État. "La porte des Enfers, entourée d'un paysage d'astre mort" (…) "Avec huit mille morts, trente mille blessés et cinq mille disparus, cet attentat est le plus meurtrier de l'histoire du pays", nous dit-on. 

31 mars 2025

Ken Bruen, aussi immortel que son héros

Ken Bruen au Goéland Masqué en 2013

La nouvelle est tombée hier : Ken Bruen est parti. Il fait partie de ces auteurs que j'ai rencontrés tardivement, mais dont j'ai lu à peu près tout, histoire de rattraper un retard dont j'avais un peu honte. Depuis, il fait partie de ma vie, de ces auteurs dont on relit les romans, ou des passages, parce qu'ils appartiennent réellement à l'essence du roman noir, et sont la preuve, s'il en était encore besoin, que le style et la musique des mots, au-delà des intrigues et des enquêtes, habitent l'esprit des lecteurs au-delà de l'anecdotique, perdurant dans le temps, revenant à l'esprit au moment où on les attend le moins. Depuis plusieurs années, les romans de Ken Bruen n'étaient plus traduits en français, au grand dam de ses fans. Pas assez rentable… ou pas assez bien compris par ceux qui avaient la charge de porter ses livres vers leurs lecteurs, peut-être ? Quant à la série télé dérivée des enquêtes de Jack Taylor, les spectateurs français n'ont, à ma connaissance, jamais eu la chance de la voir.

Avec le temps, c'est vrai, les enquêtes de Jack Taylor ressemblaient de plus en plus à un chemin de croix. C'était justement leur nature même, depuis le début. Au fil des romans, Ken Bruen touchait à l'histoire passée et contemporaine de l'Irlande, à ce qui fait d'un homme (ou d'une femme) un Irlandais, avec ses contradictions, ses violences, ses excès, son mysticisme ou sa religiosité. Au fil des romans, Jack Taylor perdait progressivement ce qui lui était le plus cher. Aujourd'hui, Ken Bruen n'est plus. Ses éditeurs français lui rendront-ils hommage ? L'essentiel, c'est que ses lecteurs continuent à le faire vivre, à parler de lui avec tendresse. Car l'homme, en plus d'être un auteur remarquable, était aussi un homme délicieusement lucide, doté d'un solide sens de l'humour et d'un regard impitoyable sur le monde. Alors oui, nous autres lecteurs avons perdu un auteur précieux, et un homme rare.

Ken Bruen sur le Blog du polar

 

28 mars 2025

Valerio Varesi,"L'autre loi" : Parme, cette inconnue


Qui connaît mieux Parme que Franco Soneri ? Jusqu'à cette année, on était tenté de répondre : "Personne". Et puis voilà qu'arrive dans les librairies L'Autre loi, dixième enquête de Soneri à paraître en français (bon anniversaire!). Doute, réflexion jouent un rôle capital dans ce nouveau roman. Tout commence avec la mort d'un jeune Tunisien, Hamed Kalimi, hébergé par un vieil aveugle, Gilberto Forlai, en échange de menus services. Côté contexte, Parme est en proie à des  échauffourées dans le quartier chaud de San Leonardo, où les affaires de deal le disputent aux agressions racistes.

Hamed Kalimi a été tué à coups de batte de baseball dans l'appartement de Forlai, alors que ce dernier marchait sur les voies ferrées, où la police l'a récupéré, complètement perdu. Bientôt, Soneri sera perdu à son tour dans une affaire qui met en oeuvre des mécanismes qu'il ne connaît pas, une culture qui lui est étrangère. S'il n'est pas aveugle comme Forlai, il est au moins aussi perdu dans une ville qu'il ne reconnaît plus. Et cette brume, toujours... Et cette prise de conscience douloureuse : sa connaissance de Parme, sa longue culture de la ville et de ses secrets, ne lui est d'aucune utilité face à ce crime-là et à ceux qui vont suivre. Pas de repères, pas de suspect, pas de pistes - ou bien trop de pistes. La confusion règne dans la ville et dans la tête de Soneri, en cette période trouble où le populisme prend son envol, et où des milices privées prétendent rétablir l'ordre - comme chacun sait, ces initiatives-là cachent toujours quelque chose. 

18 février 2025

Ian Rankin, "Minuit à l'ombre" : la vingt-cinquième enquête


Voilà, Ian Rankin a osé… Sa 25e enquête, c'est de la prison que John Rebus la mènera. Dans le roman précédent, Un cimetière dans le cœur (voir chronique ici ), Ian Rankin avait expédié John Rebus au tribunal, au banc des accusés, soupçonné du meurtre de Big Ger Cafferty, et le livre se terminait par un grand point d'interrogation. Voilà la réponse : dans Minuit à l'ombre, Rebus est bel et bien enfermé à la prison de Saughton à Edimbourg depuis trois mois, son avocat a fait appel. Le plus étonnant, c'est que ça ne paraît pas l'avoir affecté tant que ça… Il est encore à l'isolement, mais la direction de la prison a l'intention de le réintégrer au reste de la population carcérale. Où il va retrouver bon nombre de ceux qu'il a contribué à faire mettre à l'ombre. Ca va lui changer les idées, ça va aussi le mettre en danger. Mais finalement John Rebus est étonnamment solide, malgré son grand âge et sa santé fragile. Et l'atmosphère de la prison semble plus angoissante pour le lecteur que pour lui ! Le voilà dans son élément : un environnement où sont concentrés tous les maux qu'il a passé sa vie à combattre, finalement. Dans sa petite cellule, il a à portée de main les livres qu'il s'est promis de lire, des photos de sa fille et de sa petite-fille, une télé et même un téléphone fixés au mur. Ne manque que la musique. Bien sûr, le téléphone n'est utilisable que sur réservation et après paiement, et les appels sont écoutés. Une version plutôt confortable de l'enfer, en quelque sorte. Mais ça ne va pas durer.

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