Le festival de Harrogate fait partie de mes rituels annuels. Malgré la programmation décevante de la cuvée 2016, il était hors de question de rater cette édition-là, les deux invités d'honneur étant rien moins que Ian Rankin et Dennis Lehane. Retrouver là-bas Paul Cleave (dont le nouveau roman, Ne fais confiance à personne, particulièrement flippant, va paraître chez Sonatine en août - on en reparle bientôt), Martyn Waites, Val McDermid et tous les autres, ça ne se rate pas et ça vaut bien les heures de route sous la pluie, l'arrivée dans le Yorkshire sous la même, vent et froid en prime. Jeudi soir donc, à peine sortie de ma voiture, je me précipitais, parapluie déployé, vers l'hôtel Old Swan, où se tient chaque année ce festival unique en son genre et où, en 1926, Agatha Christie se réfugia pendant son escapade de 10 jours, durant laquelle la police anglaise mais aussi Arthur Conan Doyle et Dorothy Sayers se lancèrent à sa recherche. Comme chaque année, le festival commence par la remise du prix du Festival, qui cette année a récompensé l'Écossais Chris Brookmyre pour son roman Black Widow, une sombre histoire de sexisme, de meurtre et de cyber-criminalité que le Guardian qualifie de "tour de force". On y reviendra bientôt. Lee Child a, lui, reçu un prix qui récompensait toute sa carrière.
Paul Cleave, Ian Rankin et Simon Kernick
Old Swan Hotel, Harrogate (photo geograph.org.uk Andrew Blades)
Pour commencer, quoi de mieux que de laisser la parole à l'auteur pour parler de son livre : lors de la sortie de la version originale de La chambre blanche, voici comment Martyn Waites présentait ce roman, dont il disait dans notre interview (à lire ici) qu'il était, avec Né sous les coups (voir chronique ici), celui dont il était le plus fier.
"La chambre blanche se déroule principalement à Newcastle upon Tyne, dans les années soixante. Le roman porte un regard sur la reconstruction sociale de la ville. On y retrouve T. Dan Smith, un personnage qui a vraiment existé, qui dirigeait le Newcastle City Council à l'époque, et qui s'est retrouvé quelques années plus tard en prison pour corruption. Il a fait démolir des pans entiers à l'ouest de la ville, les quartiers pauvres, et y a construit d'immenses tours, qu'il appelait des "villes dans le ciel". Elles étaient censées devenir "le brillant avenir de la Ville", mais ça a été tout le contraire. A l'ombre de ces tours, on retrouve un personnage qui, dans le roman, s'appelle Monica Blacklock, et qui s'inspire très librement de Mary Bell. Pour ceux qui ne s'en souviennent pas, Mary Bell, à l'âge de 11 ans, a assassiné deux petits enfants. J'ai voulu écrire une fiction sur cette période, en ce lieu, car je crois qu'il s'en dégageait une énergie bien particulière. Pendant qu'un homme essayait d'ériger une ville futuriste, à l'ombre des bâtiments vivait cette personne, fragile, en souffrance, qui tuait des enfants. Je pense que cela constitue un contraste fascinant entre l'idée de construire un futur ambitieux et le fait d'être sans cesse retenu par les malheurs du passé. C'est un roman policier, ou plutôt un thriller, mais c'est aussi le portrait très intime d'une personne abîmée."
Newcastle High Level bridge 1970 - "High Level Bridge. - geograph.org.uk
- 293387" by Roger Cornfoot. Licensed under CC BY-SA 2.0 via Wikimedia
Commons
La lecture de ce roman ressemble un peu à un parcours du combattant. Non pas qu'il soit difficile à lire, non, plutôt qu'on se retrouve dans l'embarrassante situation où on ne peut pas s'arrêter, alors même que ce qui y est raconté est terriblement violent, douloureux, et surtout, réaliste. Au sens où la réalité dépasse la fiction.
Ce jour-là, le bar "Chez Cathy", à Saint-Guénolé, était plein comme un oeuf à l'heure de l'apéro. Il accueillait les deux auteurs anglais Graham Hurley et Martyn Waites, interviewés par Ida Mesplède et Hervé Delouche dans le cadre du Festival du Goéland masqué.
Le premier roman de Martyn Waites publié en français par Rivages, Né sous les coups, a beaucoup marqué les esprits. Il y est question de la funeste année 1984, celle des luttes des mineurs, celle de la victoire de Margaret Thatcher (voir la chronique ici et l'interview de Martyn Waites là).
Quant à Graham Hurley, il est l'auteur d'une série de romans située à Portsmouth. Son héros l'inspecteur Faraday est un personnage particulièrement attachant. Veuf, père un garçon sourd et muet, c'est un homme intègre, plutôt solitaire. La série a d'ailleurs été adaptée à la télévision française sous le titre Deux flics sur les docks. Les épisodes ont été transposés au Havre, et l'inspecteur Faraday est joué par Jean-Marc Barr. Les scénaristes lui ont adjoint un acolyte, le capitaine Winckler, joué par Bruno Solo.
Morceaux choisis.
Ida Mesplède, Graham Hurley, Martyn Waites et Hervé Delouche
Né sous les coups, de Martyn Waites (voir chronique ici) fait partie de mes romans préférés de ces dernières années. L'auteur était à Harrogate, et je l'ai séquestré un petit moment. Je n'ai pas eu beaucoup de mal à le faire parler, le format "en roue libre" de l'interview est donc ici parfaitement adapté! L'homme est passionné, disert, enthousiaste... et drôle. Pour mémoire, signalons que Martyn Waites écrit aussi sous le nom de Tania Carver des thrillers populaires. Le reste de son œuvre se répartit en deux séries (Joe Donovan et Stephen Larkin) et deux romans "autonomes". Pour en savoir plus, vous pouvez consulter son site.
C'est parti...
"Né sous les coups" est votre premier roman sous votre nom publié en France.
Oui. Quatre Tania Carver ont été publiés en français, mais les ventes commençaient à s'éroder. Et c'est à ce moment-là que Rivages a signé pour Né sous les coups. J'étais tellement content qu'ils aient choisi ce livre-là, dont le sujet m'était si proche. C'est pour écrire ce livre que je suis devenu écrivain. Mais il m'a fallu trois épisodes de la série Stephen Larkin pour atteindre la maturité nécessaire.
Martyn Waites, né à Newcastle en 1963, est un drôle de phénomène. Né sous les coups est son premier roman traduit en français, mais déjà le quatrième d'une série où il met en scène le journaliste Stephen Larkin, témoin de son temps et de son pays. On comprend pourquoi c'est ce roman qui a franchi le Channel le premier, car Waites lui-même lui porte une affection particulière : "Un auteur, c'est comme un père avec ses enfants : on ne peut pas en préférer un. Mais disons que celui-ci est le premier de mes enfants à être allé à l'université!"
Waites s'est mis à l'écriture sur le tard, après avoir exercé mille petits métiers, dont celui de comédien et artiste de "stand up comedy". Pour l'avoir vu à l’œuvre à Harrogate l'année dernière, je confirme que l'homme n'a pas son pareil pour animer un plateau ou une soirée ! Pour Né sous les coups, Waites a rangé son habit de clown: il nous offre là un roman âpre, dur, superbement construit, et une écriture qui, comme dans le titre, assène au lecteur une superbe volée de coups... au cœur.