Waites s'est mis à l'écriture sur le tard, après avoir exercé mille petits métiers, dont celui de comédien et artiste de "stand up comedy". Pour l'avoir vu à l’œuvre à Harrogate l'année dernière, je confirme que l'homme n'a pas son pareil pour animer un plateau ou une soirée ! Pour Né sous les coups, Waites a rangé son habit de clown: il nous offre là un roman âpre, dur, superbement construit, et une écriture qui, comme dans le titre, assène au lecteur une superbe volée de coups... au cœur.
Martyn Waites et Denise Mina (Harrogate 2013) |
Le roman est rédigé en deux parties alternées, présent, passé. Et le journaliste Stephen Larkin sert de passeur entre les deux. Larkin a démarré sa carrière à Coldwell, ville imaginaire du nord-est de l'Angleterre, et les journées d'émeute qui ont marqué l'arrivée des "jaunes" à la mine, auraient pu constituer son heure de gloire. Hélas, le moins qu'on puisse dire est que la lutte n'était pas égale entre les mineurs grévistes et la flicaille caparaçonnée, protégée, sans scrupules, et pire encore, la police montée qui ne lésinait pas sur le coup de matraque. La description de cette funeste journée est vraiment le morceau de bravoure du livre : Waites y montre l'incroyable violence de l'affrontement, et en profite pour tracer une topographie de la ville précise et littéralement politique absolument formidable. Et quand il évoque ces flics combattants, qui ont des frères et des amis parmi les grévistes, mais qui, poussés par la violence de la masse armée, finissent par faire un carnage, il nous en dit long sur la nature de l'homme. Il dénonce aussi les médias sous influence, qui s'attachent à présenter les grévistes comme de sombres brutes avides de bouffer du flic... Larkin en fera la triste expérience, lui qui avec un confrère photographe se battra pour montrer la vérité sur cette journée.
Formidable galerie de portraits avec cet ancien footballeur devenu directeur d'un centre de désintoxication, cette pointure du banditisme local, ces femmes usées, fatiguées, déçues, maltraitées. Et une vision dévastatrice des enjeux de ces combats, et des conséquences de la défaite. Régions entières privées de travail, appauvrissement à la vitesse grand V, généralisation de la pauvreté et de sa méchante sœur, la délinquance. Vingt ans plus tard, Coldwell est une ville en ruines, un repaire de dealers et de camés, de gamins prêts à n'importe quelle violence, plus d'illusions, plus d'idéaux, juste la course à la survie.
Il ne faudrait pas croire que Né sous les coups soit est un pamphlet politique : c'est un authentique roman noir, riche en intrigues, en trahisons et en faux-semblants, en corruptions impunies et en souffrances infinies. Quant au style de Martyn Waites, il est très exactement à la hauteur de son propos et de son histoire : riche, vigoureux, parfois brutal, généreux, des descriptions où le détail qui tue est plus évocateur que des dizaines de mots, un sens de l'action et du mouvement époustouflant... Et aussi un talent subtil pour dépeindre le contexte de l'époque, à coups d'évocations musicales en particulier, puisqu'au Royaume-Uni la pop et le rock font partie intégrante de la vie quotidienne. Sans oublier, bien sûr, le foot. Inutile de le nier : ce livre est capable de tout. Satisfaire votre goût pour l'intrigue puissante, vous plonger tête la première dans un monde à la fois si proche et si lointain, vous mettre en colère, vous émouvoir. Alors, coup de foudre ? Oui, et plus encore.
Martyn Waites, Né sous les coups, traduit de l'anglais par Alexis Nolent, Rivages / Thriller
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