Les rayons des librairies offrent de plus en plus de ces oeuvres romanesques inspirées de faits ou de personnages réels. Au premier rang des auteurs français, on pense tout de suite à Régis Jauffret qui s'est offert récemment DSK, un peu avant le banquier Stern et l'affaire Fritzl, cette abominable histoire d'inceste qui se déroulait en Autriche. Lola Lafon, elle, est allée voir du côté de Nadia Comaneci. Qu'y a-t-il de commun entre ces romans et le livre de Michael Mention, Fils de Sam ? Le réel ? Certes, mais encore faut-il voir comment ce réel est traité, trituré, rendu par l'auteur. Et c'est une des questions que pose ce livre.
"Son of Sam", alias David Berkowitz, a semé la terreur à New York à la fin des années 70. Arrêté en 1977, Berkowitz purge encore aujourd'hui sa peine à vie. Il a rejoint l'église évangélique chrétienne "Born again" et fait entendre sa voix "via" YouTube, notamment dans cette courte interview réalisée par... l'American Bible Society. S'il a beaucoup défrayé la chronique et suscité de nombreux ouvrages aux Etats-Unis, la France n'avait jusqu'à présent conservé son souvenir qu'à travers le film de Spike Lee avec Adrian Brody, Summer of Sam. Et pourtant, la trajectoire de cet homme soulève des coins de tapis sous lesquels il ne fait pas très propre.
C'est ce qu'a fait Michael Mention dans ce livre à la forme singulière. Mi-documentaire, mi-roman, ce texte revient de façon presque clinique sur le contexte : les Etats-Unis des années 70. Charles Manson et l'affaire Sharon Tate, sectes satanistes, scientologie, Viet Nam, traumatisme post-Kennedy, méthodes de la CIA... Autant d'éléments qui créent le climat particulièrement nauséabond qui aboutit, en été 77, en pleine canicule, à l'arrestation de Berkowitz, mettant fin à une longue cavale meurtrière et à un bilan criminel lourd : 6 morts et plusieurs blessés. Michael Mention rouvre toutes les pistes, y compris celles qui ont été négligées lors de l'enquête. Voilà pour l'aspect "document" du livre, qui reproduit un grand nombre de photos et de fac-similés des écrits de Berkowitz, faisant aussi largement appel à la musique de l'époque, du rock au disco...
Mais là où Mention se révèle vraiment, c'est dans la partie romancée de l'histoire, celle où il s'insinue littéralement dans la tête de Berkowitz. Là, il utilise la biographie et les déclarations de l'homme pour façonner un discours où il éructe, geint, crie, explique, analyse. On voit littéralement se développer sous nos yeux la folie de l'homme, l'emprise sous laquelle il se débat, ses élaborations mentales effroyables, pitoyables. Il raconte ses crimes avec une froideur littéralement glaçante, traitant ses victimes comme autant d'objets, s'apitoyant sur son propre sort... Un homme totalement déconstruit, aux abois, et pour lequel néanmoins on n'éprouve jamais la moindre empathie.
A noter aussi, le travail sur la typographie et la mise en pages, particulièrement réussie. Un regret au passage: une relecture de plus n'aurait pas été de trop. Certaines coquilles piquent les yeux...
Et pour en revenir à notre question du début, à l'issue de cette lecture, on a vraiment envie de demander à l'auteur quelle a été sa motivation, pourquoi il a choisi de se glisser dans la peau de ce tueur-là. Mieux approcher la vérité ? Comprendre les mécanismes qui font d'un homme très ordinaire un monstre criminel ? Pour le lecteur en tout cas, l'expérience est passionnante, même si on préfère au final le Michael Mention romancier qui donne vie à ce personnage incroyable au Michael Mention essayiste.
Michael Mention, Fils de Sam, Ring éditions
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