28 septembre 2025

Léo Cairn, "Naissance de l'incendie" : singulier, bouleversant, un roman pour les survivants


Léo Cairn est psychiatre... et romancier : on lui doit un premier roman remarquable, Une Thérapie, paru en 2023 (voir chronique ici). Avec Naissance de l'incendie, il s'est attaqué à une entreprise audacieuse, aussi risquée que bouleversante, et nous confie un roman qui en renferme plusieurs, autant que les personnages principaux qui l'habitent. Le narrateur est psychiatre au Centre de Traitement des Brûlés. 

C'est par lui que vont nous parvenir les histoires de ces malades bien particuliers, ceux dont les corps et les visages portent la trace indélébile de leurs tragédies personnelles, ceux dont la vie est marquée à jamais par ce qui leur est arrivé, et qui, à jamais, susciteront plus de peur que de compassion... 

Il y a Gaspard Friedrich le bien nommé, celui qui a raté son suicide et en est sorti défiguré. Un être complexe, dont on a la sensation que seul le suicide pouvait mettre fin à son mal de vivre, fait d'une insensibilité aux émotions et à la beauté qui nous permettent, à nous simples mortels, de  survivre à la vie ordinaire. Un garçon fasciné par les interdits, à la sexualité à la fois fluctuante, ardente et vénéneuse. Un garçon dangereux, que le narrateur façonne sous nos yeux, avec ses références culturelles, ses fascinations et ses tentations, sa froideur apparente et ses obsessions.  

Il y a Youri Geffroy, fils de paysan mal aimé, qui ne se remettra jamais de la perte de sa jeune amie Arlette, qui s'engagera dans l'armée et reviendra de Bosnie traumatisé à jamais par ce qu'il y a vécu et par la culpabilité de ce que la guerre a suscité en lui.

Adeline Blanchot, jeune comédienne à la personnalité poétique, tout en retenue, aussi fantasque que rêveuse, proie de la violence de son amant Marco, un DJ habitué de la maltraitance des femmes.

Lucien Damas, le petit prodige des études élevé en Martinique, harcelé au collège et au lycée à cause de son poids, sauvé un temps par l'amour de Samira, Samira qui connaîtra une fin tragique pour avoir osé aimer Lucien.

La petite Jasmine, laissée aux bons soins d'une mère totalement abîmée, à qui elle servira de maman, et qui finira victime d'un terrible accident de voiture qui coûtera la vie à sa mère, et qui lui coûtera son intégrité et sa santé.

Et puis Madame Stéfane, psychologue au CTB, confrontée quotidiennement aux souffrances de ses patients...

Le narrateur va remplir consciencieusement sa mission : nous révéler, petit à petit, l'histoire de ces personnages. Avec une maîtrise impressionnante, l'auteur va remettre entre nos mains ces vies telles qu'elles ont été avant le feu, avant la cassure. Avec une bienveillance mêlée d'une distance toute professionnelle, il va décrypter pour nous les mécanismes psychiques de ces êtres au destin commun, mais dont les souffrances d'avant dessinent des personnalités bien singulières et des blessures très personnelles. Sans pudeur superflue, il lève le voile sur ce que la société des humains peut infliger à ceux qui ne sont pas assez forts, trop seuls, pas assez aimés. On repensera longtemps à son évocation d'un talk-show télévisé, où Gaspard Friedrich, invité par l'animatrice vedette, la très empathique Faustine Bélair, fera scandale, révélant ainsi le révoltant voyeurisme de ces émissions à sensations. Au-delà des apparences, de la peau, l'humain, la chair; au-delà de la peur, la vérité, une vérité. 

Et puis, au fil des pages, on assiste à la métamorphose de cet homme-là, ce soignant, ce sachant, qui, à force de côtoyer ces hommes et ces femmes, va finir par contribuer à la création d'un groupe de parole rassemblant ces Sans Visages, comme ils s'appellent. Le soignant serait-il donc vulnérable ? Voilà une autre grande question que pose Naissance de l'incendie. La conclusion,  aux allures d'opéra wagnérien, de tragédie shakespearienne ou de conte gothique, sidère d'autant plus le lecteur qu'il s'est laissé piéger dans une sensation d'extériorité trompeuse, et provoque, rétrospectivement, bon nombre de questionnements aussi salutaires que troublants.  

Léo Cairn, Naissance de l'incendie, La Manufacture de livres 

 

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