8 décembre 2013

Salon du polar de Montigny 2013 : BD et polar, le couple de l'année ?

Cette année, il semble que BD + polar constituent la recette magique du succès en librairie. Après la réussite des Canardo, Jack Palmer et autres Blast, la relève se bouscule au portillon. Le Salon du polar accueillait aujourd'hui trois grands noms du genre : Juanjo Guarnido, dessinateur de la série Blacksad (Dargaud), Miles Hyman, illustrateur et dessinateur, un des protagonistes de l'adaptation du Dahlia noir de James Ellroy en BD (Rivages/Casterman/Noir), et Titwane, illustrateur du livre Enquêtes générales paru à la Martinière. Morceaux choisis...




Table ronde animée par Jean-Christophe Ogier

Juanjo Guarnido, espagnol, vient du dessin et du dessin animé. Miles Hyman, illustrateur, s'est mis à la BD en 2008. Il est aussi l'illustrateur de toutes les couvertures du Poulpe. Le dernier ouvrage de Miles Hyman, Le dahlia noir, est donc l'adaptation en BD du roman culte de James Ellroy. Ce travail est une entreprise d'équipe, puisqu'il a réuni Miles Hyman, le scénariste Matz et le réalisateur David Fincher.Titwane est également illustrateur, ingénieur à l'origine :

Titwane
 T : "Un petit accident de parcours... J'ai fait des études scientifiques, j'ai exercé en tant qu'ingénieur, et je suis passé au dessin en autodidacte. C'est un parcours qui m'a apporté beaucoup, notamment en termes d'organisation, de réflexion et de rigueur." Titwane a effectué le travail d'illustration, mais aussi de mise en scène, d'un ouvrage d'enquête sur le terrain effectué par le journaliste Raynal Pellicer auprès de la BRB."

Juanjo Guarnido en est à son cinquième album des aventures du chat Blacksad, qu'il entraîne, avec son complice Juan Diaz Canales,  dans des enquêtes périlleuses au cœur des Etats-Unis. Une couleur, un album : noir, blanc, bleu, rouge, jaune. Les deux hommes se sont connus en septembre 1990 autour d'une formation de "layout" pour le dessin animé.


Juanjo Guarnido
JG : J'ai plus une culture cinématographique que littéraire dans le domaine du noir. Je suis fasciné par cette grande époque 1939-1961 du cinéma noir américain. Un panthéon de personnages classiques de la littérature, avec Sam Spade et Philip Marlowe. En Espagne, malgré la répression culturelle sous Franco, il y a eu quelques films noirs marquants, comme ce film de Fernando Trueba, La chasse, qui raconte une partie de chasse entre amis qui ont quelques comptes à régler, et se termine avec une tuerie invraisemblable au milieu des montagnes espagnoles.



MH : Moi aussi, je suis passé par ce grand amour du film noir américain, que j'ai découvert en fait à Paris. Un recul peut-être nécessaire pour redécouvrir ma propre culture. J'ai fait des études d'art aux Etats-Unis et à Paris, après des études littéraires. Quand j'ai commencé à dessiner, j'ai rencontré des gens comme Pouy et Villard, qui commençaient à avoir un nom dans la littérature noire, et nous avons un peu travaillé ensemble. Ensuite, Pouy a lancé l'aventure du Poulpe. Au départ, ce devait être 3 ou 4 livres par an et c'est vite devenu plutôt 3 ou 4 par mois ! Nous avons donc beaucoup œuvré ensemble. Cela m'a permis de développer un traitement spécifique de l'ombre et de la lumière, qui me convenait parfaitement bien.

T : Je suis autodidacte, je dessine depuis toujours, mais à mon grand désarroi je n'ai pas fait d'études de dessin. J'ai passé tous les concours destinés à faire plaisir à mes parents, et maintenant ils sont désespérés. Pour le travail dont nous parlons, j'ai adopté un style qui ressemble à mon travail personnel, celui que je fais dans mes carnets d'observation. En règle générale, j'aime bien m'adapter à la commande, faire des travaux qui me forcent à sortir de mon style. Pour ce livre, Raynal Pellicer est l'auteur des textes, il est également celui qui s'est "immergé" à la BRB pendant 4 mois en continu. Il y est retourné ensuite ponctuellement pour suivre l'évolution des enquêtes. Depuis longtemps, il voulait faire un documentaire sur la BRB, mais il n'y parvenait parce que la BRB est un univers très secret. C'est là qu'il a eu l'idée de faire appel à un dessinateur. Nous avons proposé une maquette de quelques pages, qui lui a permis d'avoir l'autorisation. Une des règles étant bien sûr de modifier les noms des personnes. Il a donc pris beaucoup de notes, enregistré du matériel sonore, pris des photos. Très tôt, j'ai commencé à dessiner, puis j'ai fait un travail parallèle à partir du matériel qu'il m'envoyait, et qui comportait des choses que je n'aurais pas pu imaginer. j'ai disposé de vidéo-surveillances, de témoignages inimaginables et très riches. Il faut dire que cette brigade s'occupe exclusivement de "belles" affaires, qu'il s'agisse de l'enjeu financier ou de l'aspect criminel. Nous avons très vite décidé de montrer les affaires de manière chronologique, sans les séparer, pour bien rendre compte du déroulement réel de la vie à la Brigade. Certains jours, il ne se passe rien, on suit une piste qui n'aboutit pas. Nous avons voulu laisser la réalité des choses, sans tricher.

MH : Le projet s'est déroulé d'une façon particulière. Il fallait que Matz achève complètement la rédaction du scénario en anglais, car nous devions avoir le feu vert de James Ellroy. Ce dernier avait eu de mauvaises expériences avec la BD, et se montrait plutôt réticent. Avant même de démarrer l'écriture du scénario, il a fallu effectuer un véritable travail de séduction auprès de l'auteur. Travail qui a été magnifiquement assuré par François Guérif, qui a réussi à obtenir non seulement l'accord d'Ellroy, mais son enthousiasme. Ellroy tenait à avoir un regard sur le scénario, les personnages, en particulier ceux des deux flics qui enquêtent ensemble. Au départ, j'étais tenté de créer des personnages plutôt beaux, et j'ai été très soulagé d'apprendre qu'en fait il ne souhaitait pas qu'ils le soient. Il existe déjà un film de Brian de Palma sur le Dahlia noir, qui a déplu aux amateurs d'Ellroy justement à cause d'un regard un peu esthétisant sur un roman qui est brutal, violent. Il nous a suggéré un certain nombre de films à regarder, des films tournés dans des commissariats, avec la police. Ce qui m'a permis de travailler un peu comme Titwane, de m'immerger dans l'ambiance à travers le cinéma. Nous sommes allés chercher dans les archives de la police et de la presse.
Le dessin lui-même est en noir en blanc ou en bichromie. Puis la mise en couleur se fait par ordinateur. Je ne voulais pas aller trop loin vers une monochromie noir et blanc. Car Los Angeles est une ville de couleurs.

JG ; Je travaille ma couleur à l'aquarelle. Miles est un peintre, cela se sent. Moi je suis un dessinateur, je dois travailler ma couleur et je n'ai pas encore développé un geste qui me satisfasse dans ma façon d'appliquer la couleur. Je ne me considère pas comme un bon coloriste... Ce n'est pas de la fausse modestie, j'ai toujours été dessinateur et considéré la peinture comme une continuité de mon dessin. Je voudrais sortir de ce système, c'est mon combat ! Cette couleur dominante par album est une idée qui est venue progressivement. Pour le premier, j'ai d'abord voulu travailler une grisaille, puis ajouter juste un peu de couleur. Pour le deuxième, c'était le blanc. Et là, j'ai voulu faire quelque chose qui rappelle certaines images du film Fargo, où on voit de haut des étendues de neige avec juste quelques idéogrammes noirs. Et en fait il s'agit du toit des voitures qui émerge de la neige...

MH : Si la série s'appelle le quatuor de Los Angeles, ça n'est pas pour rien. La ville est très importante dans le Dahlia noir, c'est un personnage à part entière. Moi qui ai vécu à Los Angeles, je me suis aperçu qu'elle avait complètement changé, il a donc fallu que nous fassions des recherches. La ville du Dahlia noir, au début, est presque une ville des années 30. Puis elle devient une sorte de mégalopole industrielle. Donc il fallait transmettre cette transformation dans le livre.

T : Le livre nous montre qu'il se passe dans le Paris d'aujourd'hui des choses qu'on a peine à imaginer, et qui donnent à penser. Des choses hallucinantes de violence, d'audace. Des hommes et des femmes - la patronne de la BRB est une femme - qui vivent dans un univers qui ne serait pas crédible dans une fiction, mais qui est bel et bien la réalité. 

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