25 novembre 2022

Lucas Belvaux, Les Tourmentés : chasse à l’homme

 
Lucas Belvaux n’est pas un habitué des rayons polar des librairies. En revanche, il est bien connu des cinéphiles, puisque ce cinéaste, scénariste et acteur belge, a mis en scène une dizaine de longs métrages, des films pour la télévision, et joué pour un grand nombre de réalisateurs. Il a notamment co-écrit avec Jérôme Leroy le scénario du film Chez nous, qu’il a également réalisé. Un film sorti en salles en 2017, avec Émilie Dequenne, André Dussollier et Catherine Jacob, qui observe et analyse la transformation / dédiabolisation du Front National, futur RN…

Avec Les Tourmentés, Lucas Belvaux offre un roman étonnant à bien des égards : ses personnages singuliers, son intrigue racontée à plusieurs voix qui bénéficie de l’expérience du découpage et du sens du rythme qui caractérisent son travail de cinéaste, son style qui n’a rien à envier aux meilleurs auteurs de polars – nerveux, sobre, précis. Ce n’est pas gâcher la lecture que de dire qu’il y est question d’une chasse à l’homme, au sens littéral de l’expression. Mais pas une Chasse du Comte Zaroff bis, pas un roman d’aventure et d’épouvante. Dans le trio que composent les personnages principaux de cette histoire, qui est vraiment la victime, qui sont les bourreaux ? Voilà la question qui se pose au lecteur de façon de plus en plus dérangeante au fil du récit.

Skender est bosniaque. Il a été légionnaire et taulard, puis a tenté de se stabiliser en épousant Manon, avec laquelle il a eu deux fils, Jordi et Dylan. Mais son passé l’a vite rattrapé : la partie de sa vie qu’il a passée avec la Légion, d’opération spéciale en opération spéciale, entre Côte d’Ivoire et Afghanistan. L’apprentissage de la vie à la dure, les embuscades, le combat avec la nature. Et surtout la mort, les morts. Le tumulte des armes, la violence, les corps fracassés. Quand on a vécu ça, comment vit-on, après ? Est-ce qu’on peut vraiment rentrer dans le rang, trouver du boulot, fonder une famille, acheter une maison ? Pour Skender, c’est impossible. Cet homme hanté va se retrouver pratiquement SDF, à dormir dans sa voiture ou ailleurs, loin de sa famille. Détruit physiquement et mentalement.

Jusqu’au jour où son vieil ami Max, un copain de la légion, le retrouve et le présente à Madame. Max vit dans la grande maison de Madame, il est… un peu tout. Son garde du corps, son domestique, son confident discret. Madame est riche, très riche. Son mari est mort d’un accident de chasse. Madame aime la chasse et les armes. Madame a tout vu, tout eu, tout fait. Sauf une chose : s’offrir une chasse à l’homme. Max surveille Skender depuis un moment déjà : il sait qu’il n’a plus grand-chose à perdre. Devenir gibier ? Pourquoi pas ? La prime est intéressante : 3 millions d’euros, qu’il obtiendra quelle que soit l’issue de ce défi délirant. La partie de chasse aura lieu dans une des propriétés de Madame, dans le nord de la Roumanie. Dans six mois.

Six mois pendant lesquels Skender devra se refaire une santé, retrouver sa vigueur de légionnaire, explorer les lieux afin d’y repérer les cachettes possibles, les pièges naturels. Six mois pour assurer l’avenir de sa famille, lui acheter une jolie maison dans les Corbières, retrouver la confiance de Manon, mentir pour qu’elle ne soupçonne pas l’inimaginable.

Le plus difficile dans l’entreprise dans laquelle s’est lancé Lucas Belvaux était sans doute de rendre crédible cette histoire effrayante. Pour cela, une seule solution : travailler ses personnages en profondeur et en sensibilité. C’est ce qu’il fait de façon magistrale, dévoilant progressivement les personnalités des trois principaux protagonistes, leur histoire, les ressorts qui les font agir, les relations qu'ils entretiennent. Donnant la parole tour à tour aux principaux protagonistes, l’auteur explore les différentes perspectives et éclaire de façon subtile les terribles vérités que révèle cette histoire. A tel point qu’il arrive au lecteur d’oublier la nature de l’intrigue dans laquelle il s’est laissé embarquer, tant les souffrances humaines qui sont dévoilées au fil du roman sont bouleversantes ; à tel point qu’on en vient à comprendre les actes les plus insensés, et à éprouver de l’empathie pour celle et ceux qui les commettent.

Lucas Belvaux livre là un premier roman d’une finesse et d’une rigueur exemplaires, un texte dont la construction sophistiquée ne nuit jamais à l’émotion et à la réflexion, une très belle histoire noire.

 Lucas Belvaux, Les Tourmentés, Alma éditeur

 

 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Articles récents