31 janvier 2023

Léo Cairn, "Une thérapie" : une trop étrange histoire d'amour


Nous autres amoureux du polar et du roman noir sommes abreuvés d'intrigues, de mystères et d'affaires criminelles. Pourtant, les recoins les plus sombres de l'âme humaine, les détours les plus tortueux de nos passions restent la source la plus généreuse de nos interrogations et de nos angoisses. Ce n'est pas Léo Cairn qui dira le contraire... Avec Une thérapie, il nous entraîne à sa suite dans une histoire d'amour fatale, sur fond d'hôpital psychiatrique et de fragilités humaines. Pour tout dire, c'est aussi la question de l'identité qui va jouer un rôle déterminant dans le vertige qui saisit le lecteur au fur et à mesure qu'il avance dans son chemin.

Le narrateur est psychiatre. Il vient de prendre ses fonctions loin de sa famille et de la Gironde, dans une clinique normande joliment baptisée Beauséjour. Sa compagne Alima et leurs enfants viendront, sûrement, le rejoindre un peu plus tard. Au même moment, Emma vient elle aussi de prendre ses fonctions à Beauséjour, et le narrateur a pour mission de l'accompagner dans son installation. Très vite, nous allons être débarrassés de l'image du médecin psychiatre bon père de famille qui attend avec impatience l'arrivée de sa femme et de ses enfants. A cause d'Emma, l'irrésistible Emma. 

Parmi les patients qui constituent le quotidien du narrateur, M. Frédérique, qui relève tout juste d'une tentative de suicide à l'insuline. M. Frédérique est... psychiatre. Pour le narrateur, la tâche est ardue : ce patient-là ne va pas s'en laisser conter, et il est dans un état inquiétant : "Il allait falloir se battre pour le ramener du côté de la vie, et parvenir à s'en faire un allié pour mener ce combat difficile à l'issue encore incertaine." Le psychiatre et le psychiatre commencent donc un échange de questions et de réponses au cours duquel M. Frédérique, d'emblée, va plonger au cœur du sujet : Emma. Emma, celle qui a conduit M. Frédérique au suicide. Emma, la coupable, celle qui séduit, qui aime, puis qui échappe à celui qu'elle dit aimer, lui glisse entre les mains telle une sirène qui voudrait regagner la mer. 

"L'amour à la folie", sculpture sur bronze de Jean Baptiste Carpeaux, expuesta en el museo Soumaya, México - Photo Ronaldo Cacini

Léo Cairn nous plonge, sans égards, dans une confusion qui n'a d'égale que la précision avec laquelle il déroule son histoire, généreux en détails, en situations complexes, en bouleversements cruels. Emma, femme fatale. Emma, femme inconnue : celle qui est au centre du récit est aussi celle qui en défait la logique, et qui fait perdre la raison aux protagonistes... et au lecteur. Une thérapie est un cauchemar méticuleusement tissé par l'auteur, un défi au rationalisme du lecteur, mais aussi une plongée impitoyable au cœur des tourments humains et des faiblesses des hommes et des femmes. Au fur et à mesure que l'on avance dans le récit, on se retrouve pris dans une nasse dont l'auteur aura bien de la peine à nous sortir - mais le veut-il vraiment ? 

Une thérapie fait songer à ce court métrage de Jean Eustache, Les Photos d'Alix, où l'on voit une jeune femme regarder, en compagnie d'un très jeune homme, une série de photos. Au fur et à mesure qu'elles défilent, le commentaire s'éloigne de plus en plus de ce qu'on voit sur les clichés. Une thérapie produit un peu le même effet : le lecteur qui se laisse prendre à ses charmes renonce, petit à petit, à ses repères habituels, cédant progressivement aux charmes d'une histoire ensorcelante, écrite sous l'angle d'un récit qui donne tour à tour la parole au narrateur et à son patient, rendant de plus en plus floues les frontières entre les discours. Un pari difficile et parfaitement réussi pour un roman aussi brillant qu'audacieux, une étincelante incursion dans les questions de l'identité, du réel et de l'illusion, un premier roman impressionnant par sa singularité et sa maîtrise.

Léo Cairn, Une thérapie, La Manufacture de livres

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