1 juin 2015

Deux Anglais dans un bar breton : Martyn Waites et Graham Hurley (Le Goéland masqué 2015)

Ce jour-là, le bar "Chez Cathy", à Saint-Guénolé, était plein comme un oeuf à l'heure de l'apéro. Il accueillait les deux auteurs anglais Graham Hurley et Martyn Waites, interviewés par Ida Mesplède et Hervé Delouche dans le cadre du Festival du Goéland masqué.

Le premier roman de Martyn Waites publié en français par Rivages, Né sous les coups, a beaucoup marqué les esprits. Il y est question de la funeste année 1984, celle des luttes des mineurs, celle de la victoire de Margaret Thatcher (voir la chronique ici et l'interview de Martyn Waites là).

Quant à Graham Hurley, il est l'auteur d'une série de romans située à Portsmouth. Son héros l'inspecteur Faraday est un personnage particulièrement attachant. Veuf, père un garçon sourd et muet, c'est un homme intègre, plutôt solitaire. La série a d'ailleurs été adaptée à la télévision française sous le titre Deux flics sur les docks. Les épisodes ont été transposés au Havre, et l'inspecteur Faraday est joué par Jean-Marc Barr. Les scénaristes lui ont adjoint un acolyte, le capitaine Winckler, joué par Bruno Solo.
Morceaux choisis.
Ida Mesplède, Graham Hurley, Martyn Waites et Hervé Delouche


Martyn Waites : En fait, avant Né sous les coups il y avait eu déjà trois romans avec Stephen Larkin, un journaliste qui ne parvient jamais à écrire. En fait, le métier est une sorte de prétexte. Donc avec Né sous les coups j'ai voulu, enfin, le montrer en train de faire son métier. Ce qui était une décision plutôt radicale pour moi...

J'ai créé la ville imaginaire de Coldwell : c'est une sorte de composite car je voulais replacer dans un même lieu les différents événements de 1984, pendant la grève des mineurs sous Margaret Thatcher.

J'étais tellement en colère après ce qui s'était produit pendant la guerre des mineurs. Je pensais qu'on n'en avait pas assez parlé. Je suis originaire de Newcastle, et je vis aujourd'hui à Londres. Je me suis rendu compte à Londres que les gens ne savaient pas ce qui s'était passé dans le nord de l'Angleterre, alors que ce qui s'est produit là-bas a vraiment constitué un moment pivot dans l'histoire du pays, un point de non-retour. Après cela, la politique a bougé vers la droite, voire l'extrême-droite. Même les travaillistes ont basculé vers la droite. J'écris des romans policiers : je trouvais que ce qui avait été infligé à l'Angleterre à cette époque était un crime. Voilà pourquoi j'ai écrit Né sous les coups.

Graham Hurley et Martyn Waites

Graham Hurley : Il y a quelques ressemblances thématiques entre nos romans. Mes livres se déroulent à Portsmouth, la base la plus importante de la Marine royale. Une grande ville de 200 000 habitants, avec une société en pleine dégringolade. Un cadre parfait pour mes polars. Cela me permet d'aborder beaucoup de thèmes sociaux comme l'effondrement de la famille, la pauvreté, les problèmes de drogue... C'est une ville très intéressante à cause de la mixité : il y a des pavillons de luxe, des quartiers défavorisés. En tant qu'écrivain, Portsmouth est devenue pour moi une cocotte-minute pour la préparation de mes polars...C'est une sorte de laboratoire de la situation sociale anglaise.

Je vais vous dire un secret. Quand j'ai commencé l'aventure du polar, c'était l'idée de ma maison d'édition à Londres. Parce que les polars, en Angleterre, sont le genre le plus populaire. En réalité, je déteste les polars; mais il faut bien remplir le frigo... J'espère que mes polars sont un peu différents. L'idée pour moi était de créer un flic avec lequel je pourrais vivre et discuter pendant trois livres. Au début, j'ai passé deux mois avec les flics de Porstmouth pour comprendre les processus de la police et l'esprit des flics. Puis j'ai commencé à écrire. Il était très important pour moi de créer des personnages qui m'intéressaient. C'est pourquoi j'ai créé l'inspecteur Faraday, avec son passé compliqué, son fils sourd-muet. Il est bosseur, honnête. Mais dans sa vie privée, il est très vulnérable. Avec les femmes, sa vie est un désastre. D'ailleurs ici en France, j'ai rencontré beaucoup de femmes françaises qui sont amoureuses de Faraday...
Roger Helias, Ida Mesplède, Graham Hurley et Martyn Waites
Martyn Waites : Dans la nouvelle "De l'amour", parue dans le recueil Londres noir (Asphalte), que Cathi Unsworth m'a demandé d'écrire, j'ai voulu écrire sur un lieu ignoré de tous, situé à une cinquantaine de kilomètres de Londres, bien loin du pouvoir et de la richesse. Dans ces villes pauvres, le ressentiment, la colère et la pauvreté favorisent l'extrême-droite. J'ai voulu que le narrateur soit un ado de 17 ans, mêlé aux bagarres et à la violence. J'ai voulu montrer que ce qui fait peur aux gens, c'est ce qu'ils pourraient devenir un jour. Tout ça a l'air très sérieux, mais il y a aussi des côtés drôles dans cette nouvelle.

Le titre anglais de Né sous les coups est celui d'un morceau de Talking Heads, Born Under Punches. Je suis très fan de Talking Heads. L'autre jour, je buvais un verre avec un éditeur de mes amis, je lui disais combien j'aimais Talking Heads, et il m'a répondu : oui, tous les hommes de ton âge aiment Talking Heads. Pour moi, la musique est comme une sténo qui me permet de camper l'atmosphère. Si on trouve la bonne musique pour la bonne scène, tout de suite le lecteur comprend - s'il connaît le morceau, bien sûr !

Graham Hurley : Vers la fin du travail sur mon premier polar, j'ai compris que j'étais en train d'écrire l'histoire de l'évolution de cette grande ville. Il était pour moi très important d'analyser le contexte, la pénombre, la profondeur de Portsmouth. En même temps, la ville de Portsmouth est devenue un personnage de la série. Quand j'ai eu terminé le troisième livre, c'était pour moi la fin de l'aventure. Mais ma maison d'édition m'a demandé de continuer. Et voilà. Portsmouth, pour moi, reste un mystère, une inspiration et une amie. Mon frigo est plein pourtant, mais j'ai voulu briser le cadre du polar, explorer la conscience sociale de mon pays. A Portsmouth, les gens qui règnent sur la ville ne sont pas nombreux : les hommes d'affaires, le milieu et la police. Si on veut, on peut les connaître tous. Le plus grand criminel peut très bien être votre voisin...

Il y a partout en Angleterre des hommes et des femmes sans avenir, sans espoir, sans retraite. Cette situation empire, car maintenant, en Angleterre, nous avons une politique d'austérité. Plus de richesses pour les riches, rien pour les pauvres, rien pour les classes moyennes. On incite même les sociétés privées à racheter les services publics, à investir dans les universités.

Le dernier roman de Graham Hurley, Le paradis n'est pas pour nous, a paru au Masque (traduction de Valérie Bourgeois)
Le roman de Martyn Waites, Nés sous les coups, a paru chez Rivages (traduction de Alexis Nolent)

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