11 octobre 2016

SG Browne, "La Destinée, la Mort et moi" : y a-t-il une vie après la mort ?

Scott G. Browne est, selon le site Kirkus, "un des meilleurs romanciers satiriques américains." Après avoir lu La Destinée, la Mort et moi - Comment j'ai conjuré le sort, on ne va pas vous dire le contraire. SG Browne vit à San Francisco, et le public français a pu le découvrir à travers Heureux veinard, paru en Série noire en 2012, Comment j'ai cuisiné mon père, ma mère et retrouvé l'amour et Le jour où les zombies ont dévoré le Père Noël, tous deux parus chez Mirobole en 2013 et 2014.

Avec La Destinée, la Mort et moi, il n'a rien perdu de sa verve ni de ses inquiétudes métaphysico-politiques... Le héros du roman s'appelle Sergio, mais ne vous y trompez pas, il n'est ni coiffeur ni barman... Dans la vie, il s'occupe du Sort des 83% d'humains qui ne relèvent pas de la Destinée. C'est-à-dire très probablement vous et moi, qui n'allons devenir ni Prix Nobel, ni Président des Etats-Unis...


Sergio n'est donc pas un humain, mais une entité cosmique pareille à toutes les autres qui orchestrent notre pauvre existence, sous la présidence d'un chef d'orchestre nommé Jerry - Jerry, le petit nom de Dieu... Riche idée qu'a eue là S.G. Browne : voilà qui nous permet de nous représenter un peu plus concrètement l'organisation du monde, n'est-ce pas ? L'univers entre les mains d'une équipe d'entités en charge de nos heurs et malheurs, voilà qui nous soulage, non ? On se sent plus léger, du coup, moins responsable...

Mais il ne faudrait pas croire que la vie d'entité cosmique est une sinécure. Ces gens-là ont beau être immortels, se téléporter en un clin d’œil d'un bout de l'univers à l'autre, n'avoir pas de problème de découvert en fin de mois, disposer d'une enveloppe corporelle parfaite, ils n'en ont pas moins leurs problèmes, et pas des moindres. Pour commencer, ils doivent obéir aux règles édictées par Jerry le Tout-Puissant. Dont la première est une interdiction formelle de s'ingérer dans la vie des humains. Mine de rien, ça n'est pas une mince affaire. Sergio va l'apprendre à ses dépens, puisqu'il ose le pire : tomber amoureux de sa voisine, une belle mortelle du prénom de Sara. A partir de là, tout part à vau-l'eau pour Sergio le Sort. Et ce n'est pas sa rivale de toujours, une belle garce rousse et sexy répondant au nom de Destinée, qui va lui faciliter la vie. Ces deux-là sont comme chien et chat, le premier en charge de la pauvre piétaille que nous sommes, de ses erreurs fatales et de ses déraillements passagers, la seconde attachée à ceux qui sortent du lot et qu'attend une destinée particulière. Entre attraction et répulsion, la relation entre eux, partagée entre vacheries entre collègues et séances torrides de sexe sans contact, est loin d'être sans dangers, Sergio va l'apprendre à ses dépens. Et payer cher, très cher, son entorse à la règle n°1. Jusqu'à une fin en forme de retournement de situation vraiment cosmique, cette fois, qui nous fait basculer du burlesque vers le métaphysique en moins de temps qu'il n'en faut pour le dire.

 S.G. Browne nous offre là une fantaisie burlesque, avec des personnages qui, même s'ils sont inhumains, entretiennent entre eux des relations qui nous rappellent quelque chose... Entre ses beuveries avec Paresse et Gourmandise, ses échanges fumeux avec Sagesse et Vérité - incarnés par deux beaux blonds bronzés typiquement californiens -, ses parties de cache-cache avec Mortimer la mort, ses démêlés avec Jerry, Sergio le Sort est un personnage à travers lequel nous finissons par voir notre pauvre humanité, et ce qu'elle est devenue. S.G. Browne brocarde allègrement notre consumérisme - qu'il s'agisse de nos appétits matériels ou sexuels -, notre pauvre vie d'humains qui ont perdu le contrôle, et use d'un style rapide, d'un vocabulaire truculent et de pirouettes verbales irrésistibles pour nous emporter dans cette histoire complètement délirante, jusqu'à une fin audacieuse qui nous laisse assis, pantelants, mi-hilares mi-incrédules...

 S.G. Browne, La destinée, la mort et moi, comment j'ai conjuré le sort, traduit par Morgane Saysana, Agullo éditions

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