20 janvier 2019

Franck Bouysse, "Né d'aucune femme" : touchée en plein coeur

Commencer l'année avec le nouveau roman de Franck Bouysse, que rêver de mieux ? Né d'aucune femme marque à coup sûr une nouvelle étape dans l'itinéraire d'un auteur exigeant, qui n'hésite pas à prendre des risques et qui, cette fois, franchit allègrement les barrières des genres et prend la place qui lui revient du côté de la littérature, tout simplement.

C'est par la voix du prêtre Gabriel que va nous parvenir la triste histoire de Rose. Ce jour-là, une femme vient se confesser. Elle a un message pour lui: une des sœurs du monastère voisin vient de mourir, il faut venir bénir son corps. Il faut trouver, sous sa robe, ses cahiers, son journal intime. Le journal de Rose.  


Les Landes, voilà comment s'appelle la ferme où vit Rose avec ses parents et ses trois sœurs. C'est la misère... Rose vient d'avoir 14 ans. Ce jour-là, son père Onésime l'emmène à la foire de la ville voisine. Là-bas, les paysans vendent leurs bêtes. Le père de Rose, lui, est venu vendre sa fille. Une fille, ça ne travaille pas, ça ne rapporte pas, "une fille, c'est la ruine d'une maison", dit-il volontiers. Onésime n'a rien trouvé de mieux pour nourrir sa famille. Une bourse change de main, c'est aussi simple que ça. Un gros homme bien vêtu emmène Rose avec lui, le voyage dure longtemps. Enfin, ils arrivent aux Forges, le domaine où désormais, Rose va devoir vivre. Ils sont accueillis par une vieille femme en noir qui va donner ses instructions à la gamine. Servante à pas cher, Rose ? Non, bien pire que cela... Ces Forges-là, ce sont celles de l'enfer de Rose...

A chaque chapitre son point de vue. Gabriel, puis Rose à la première personne. La malheureuse histoire d'Onésime, celle de sa femme dont nous ne connaîtrons pas le nom, celle d'Edmond, le seul être qui témoignera à Rose ce qui ressemble à de l'amour. Et la descente aux enfers de Rose. La jeune fille, pourtant, n'est pas une malheureuse victime. Elle comprend très vite ce que le sort lui réserve, résiste aux horreurs dont elle est témoin, se bat, réfléchit, souffre. Et nous souffrons avec elle, totalement envoûtés par l'aventure romanesque et tragique que nous raconte Franck Bouysse, qui n'a jamais aussi bien maîtrisé la langue qu'il façonne, la construction de son récit, qui sait déclencher notre imagination par la magie des mots, celle des lieux qu'il décrit, des personnages qui nous émeuvent. L'intimité d'une jeune fille, ses douleurs, son besoin de tendresse, sa révolte, sa colère, ont rarement été décrits de façon aussi poignante, avec une sobriété qui exacerbe l'émotion.

Pourquoi Né d'aucune femme est-il un grand roman ? Pourquoi la jeune Rose fait-elle dès les premières pages son entrée dans le cercle très privé des grandes héroïnes romanesques ? Peut-être parce que Franck Bouysse sait mener de front sa mission de romancier - créer des personnages uniques et passionnants, raconter une histoire terrible et fascinante - et sa volonté d'affirmer des idées, de les défendre et de les illustrer avec un savoir-faire en permanente progression ? Peut-être est-ce parce que le travail sur le texte, sans doute considérable, est véritablement abouti en ce que, justement, le lecteur n'y voit que du feu et se laisse emporter par une prose passionnée et passionnante ? Peut-être parce que Franck Bouysse nourrit un amour immodéré pour la littérature, mais qu'en même temps son amour pour ses personnages, ses créatures, est tellement fort que le lecteur le ressent, le reçoit en plein cœur. 

Franck Bouysse, Né d'aucune femme, La Manufacture de livres

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