C'est toujours un plaisir de retrouver Hugues Pagan. Après son retour au roman en 2017 avec Profil perdu, voici onze nouvelles, dont une inédite qui donne son titre au recueil, écrites entre 1982 et 2010. Elles nous permettent, en quelque sorte, de garder la trace de Hugues Pagan l'écrivain, puisqu'il a consacré une grande partie de sa carrière d'auteur à travailler pour la télévision, notamment depuis 1997. On prend la mesure de ce que le téléspectateur a gagné (M. Pagan a été scénariste de séries, en particulier Nicolas Le Floch et Mafiosa), et de ce que le lecteur a perdu dans l'affaire...
Le défi de la nouvelle est le même pour tous les auteurs, mais tous ne le relèvent pas avec le même panache. Hugues Pagan sait faire : en quelques paragraphes, il sait planter un décor, faire vivre ses personnages, mettre en place la situation. Il ne lui reste plus qu'à développer (comme si c'était facile...). Et il le fait bien, quelle que soit la tonalité qu'il choisit. Ce n'est pas le moindre des intérêts de ce recueil que de montrer les différentes facettes de l'écrivain Hugues Pagan : noir toujours, mais avec bon nombre de nuances de gris et surtout un humour aussi décapant que salutaire. La première nouvelle, "Mauvaises nouvelles du front", nous présente à un personnage qu'on retrouvera dans plusieurs nouvelles : le flic parisien qui loge au-dessus des voies de chemin de fer, près de la gare de Lyon, en compagnie de son sacré chat nommé Yellow Dog (YD pour les intimes) et qui résiste bon an mal an à la domination de son chef, surnommé Yobe le Mou, commissaire principal de son état, imbécile aussi dangereux qu'antipathique. Pour le coup, Yellow Dog et ses yeux "jaunes et froids, que nul n'était jamais parvenu à faire baisser", semble plus humain que bien d'autres vrais bipèdes, et, avec son histoire d'amour tragique, ressemble fichtrement à son maître.. A moins que ce ne soit le contraire.
Dans cette première histoire, Hugues Pagan dégaine tout de suite son arme majeure : le style. Pas seulement l'argot flicard et pittoresque, mais la phrase qui fait mouche, alternant description sinueuse et poétique, phrase courte, sobre, percutante, dialogues qui fusent, puis décident de s'envoler, histoire de remettre les pendules à l'heure : certes, on est dans l'univers du polar. Mais la poésie y est, plus qu'ailleurs, à sa place. Le choix des mots, le travail sur les mots, leur ordre, leurs associations, le rythme : tout cela est signé Hugues Pagan, et nul autre. C'est bête à dire, mais finalement, réfléchissons. Combien d'auteurs sont identifiables à leur style, à leur façon de plonger au beau milieu des mots, d'y nager, d'y provoquer des éclaboussures, de s'y noyer ? Sans jamais oublier l'histoire, bien sûr. Une pure folie, qui démarre comme un polar et débouche sur une dystopie invraisemblable et effarante, avec des personnages nommés Sylvester Stallone et Mel Ferrer, un Yellow Dog à qui il arrive de s'exprimer avec des mots, et où les protagonistes et leurs mésaventures trouvent un écho étrange dans notre actualité...
Dans le deuxième texte, "Ostende", Hugues Pagan nous emmène sur la côte belge, et rarement on a lu plus juste description de l'arrivée à Ostende : "On roule, puis on est tout de suite arrivé: un parc aux grandes frondaisons, un large rond-point étale et les mâts de navires surgissent plantés pour ainsi dire en plein coeur de la ville. Ce sont comme des échardes de bois plantées en plein vent. Les navires grincent et remuent dans le bassin. On ne peut penser que du bien d'une ville peuplée de mâts et de navires." Voilà, nous sommes à Ostende, ne manque plus que la corne de brume qui résonne, la nuit tombée, près du Kursaal. C'est là que son enquête a conduit notre flic préféré, accompagné d'une toute jeune policière, Calhoune, qui porte "un flight et des santiags... peut-être pour cacher qu'elle avait trop de poitrine et encore un cœur de toute petite fille.". Le but de l'opération : coincer un escroc - fraude à la carte bleue, chéquiers volés, rien de bien excitant. L'expédition ne va pas exactement se dérouler comme on l'aurait voulu. En revanche, Hugues Pagan n'oublie pas d'évoquer James Ensor, l'enfant du pays, peintre obsédé par la mort et porté sur le grotesque. Là, au bout de cette enquête ratée, il y aura de la tendresse, de la sensualité, et puis un bruit dans la nuit. "Une corne de brume dans le lointain, peut-être." Voilà. Hugues Pagan conclut : "c'était bien l'âme d'un chevalier mort qui remontait vers le Nord." La poésie, la mélancolie, est toujours au bout de la page.
Au fil des pages de ce recueil, vous croiserez Miss Maggie, à son poste au commissariat, à qui on peut faire gober à peu près n'importe quoi, y compris la présence d'un groupe de pingouins au réservoir d'Aubervilliers, en train de se cavaler vers le sud pour fuir la froidure inhabituelle qui sévit sur Paris. Vous rencontrerez aussi le Père Noël, c'est la moindre des choses à cette période de l'année, un dromadaire mort, Jésus-Christ, une fantaisie botanique autour d'une certaine Amarante Pinet, une île granitique à l'ouest. Et puis Léon, femme flic inoubliable ... Et enfin Louis Armstrong, Billie Holiday, Charlie Christian. Car si Hugues Pagan aime la littérature, il aime peut-être encore davantage la musique, le jazz, le blues.
Bien sûr, Hugues Pagan a été flic. Longtemps. Mais si d'autres dans son cas n'ont su en tirer que des textes attendus, rebattus, voire démagogiques, Pagan restitue son histoire sous la forme d'une impitoyable vision de la police et de la gendarmerie, où vraisemblablement il ne s'est pas fait que des amis. Il a été prof de philo aussi : de cette expérience-là, a-t-il puisé un sens de la rhétorique et une faculté de recul qui lui donne son ton unique, entre ironie et tendresse, désespoir et colère? Comme le dit Michel Embareck dans sa préface : "Le monde est devenu un tel bal des faux-culs que lui-même en reste les bras ballants, sourire hépatique au coin des lèvres."
Hugues Pagan, Mauvaises nouvelles du front, Rivages / Noir
Un retour "en Pagan", comme une espèce de retour d'où je ne suis jamais partie… La relecture n'est pas faite pour YD, et quand un bouquin croule, trop dépenaillé, il se rachète. A combien d'Etage des morts" en suis-je ? Alors, dans ces Nouvelles du Front, je retrouve avec joie un monde familier, et je découvre de l'inconnu avec bonheur. Plus une poésie extraordinaire et un humour que je n'avais pas soupçonné. Merci à l'Inspecteur sans nom, merci à monsieur Pagan.
RépondreSupprimerClaude