20 février 2019

Magdalena Parys, Le Magicien : les lieux et la mémoire

Voici le deuxième roman de l'auteure polonaise-allemande Magdalena Parys, dont le premier livre, 188 mètres sous Berlin, avait déjà séduit les lecteurs français (voir chronique ici). Le titre de ce billet s'explique simplement. Magdalena Parys n'a pas son pareil pour nous entraîner dans sa machine à remonter le temps : l'histoire, les lieux de l'histoire et ceux d'aujourd'hui, des personnages dont la vie présente est hantée par un passé tragique... Cet incessant aller-retour, animé par une intrigue complexe et des caractères vigoureusement et subtilement campés : tous les ingrédients sont là pour réussir un roman fort en goût, passionnant de bout en bout.

Tout commence avec le réveil de Frank Derbach, qui se débat avec son cauchemar récurrent, celui où il raconte sa propre mort. Derbach est à Sofia, il a rendez-vous avec Gerhard. Celui-là même qui, à Sofia lui aussi, cherche des renseignements sur un ingénieur polonais, Piotr Boszewski, mystérieusement disparu en 1980 alors qu'il était en vacances en Bulgarie.C'est Burkhard Seidel, le vieil homme dont les deux fils ont été tués en 1985 à la frontière bulgare, qui l'a mis sur la piste de Boszewski. C'est lui qui, à Leipzig, possède des archives privées qui le mettent en danger et où se cachent les très vilains secrets de la Stasi. Gerhard est photoreporter, il est le beau-père de Dagmara... la fille de Boszewski. Derrière cette disparition et bien d'autres, il y a l'homme politique populaire allemand Christian Schlangenberger. Pour l'heure, la disparition qui inquiète Gerhard, c'est celle de Frank Derbach. Lui qui était si pressé de le voir lui a posé un lapin, et ça n'est pas son genre.

Retour à Berlin. Le commissaire Kowalski se rend sur une scène de crime, dans le quartier de Neukölln, dans un appartement miteux au dernier étage d'un bâtiment qu'on appelle l'immeuble des Roms... Ce qui l'attend là-haut,  n'est pas beau à voir. "Il existe plusieurs sortes de cadavres. Kowalski en avait déjà vu des centaines au cours de sa carrière." Celui-là peut prétendre à un record : l'homme est assis sur les toilettes, nu et horriblement torturé. "Une image surréaliste, digne de Resident Evil!", précise l'auteure. L'homme s'appelle... Frank Derbach, définitivement disparu.

Voilà les premiers ressorts de l'histoire, sur lesquels vont rebondir allègrement les protagonistes d'une affaire historico-politique. La mort terrible de Frank Derbach n'est que le premier drame de cette sombre affaire. Magdalena Parys est sans doute une promeneuse, une arpenteuse des rues de Berlin et de leurs fantômes. Bâtiments d'aujourd'hui avec l'immeuble des Roms, vestiges de la vieille Europe comme ce restaurant de  luxe, ses tentures et ses ors, dans lequel se retrouvent et s'espionnent les acteurs de l'affaire, centre de santé genre établissement thermal où le commissaire Kowalski est obligé de se réfugier afin de pouvoir continuer à enquêter... Solitaire, vaguement dépressif, Kowalski vit seul, sans femme, il a perdu son chien peu de temps auparavant, et c'était l'être vivant dont il était le plus proche. Et bien sûr, comme tout enquêteur qui se respecte, il est confronté à l'hostilité de ses collègues flics qui ne voient pas d'un très bon oeil ses incursions dans un passé encore brûlant, celui de la Stasi. 

Une héroïne célèbre mais paumée, prise dans une douloureuse situation familiale, une femme fatale digne des meilleurs romans d'espionnage : rien ne manque pour que ce Magicien se hisse à la hauteur des textes d'Eric Ambler, Graham Greene ou John le Carré, voire à celle des nouvelles de Somerset Maugham - qui ne sont pour dames que pour rimer chez Alain Souchon. Réussir à créer une troublante atmosphère d'entre-deux, entre passé et présent, tout en maintenant le rythme soutenu qui fait qu'on ne peut pas s'arracher à la lecture de ce Magicien, voilà un tour de force réussi par Magdalena Parys, qui a remporté pour ce roman le Prix de littérature de l'Union européenne en 2015. Et pour terminer, un bravo aux traductrices Margot Carlier et Caroline Raszka-Dewez pour ce texte fluide, vivant et rythmé.

Magdalena Parys, Le Magicien, traduit par Margot Carlier et Caroline Raszka-Dewez, Agullo éditiojns

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