7 octobre 2019

Joseph Knox, "Chambre 413" : quand un auteur tient ses promesses


Le premier roman de Joseph Knox, Sirènes (voir chronique ici ) révélait un auteur inspiré, tourmenté, surdoué. Dans l’interview qu’il m’accordait lors de Quais du polar à Lyon (à lire ici), où il présentait son premier roman, il m’avait prévenue : « Je pense que le deuxième est bien meilleur ! Le premier, j'ai la sensation que c'était du pur instinct. Je l'adore parce qu'il a changé ma vie, mais je pense que pour le deuxième, je contrôle mieux les choses. » J’ai pris cela pour une promesse, et elle est tenue haut la main… 

Chambre 413 commence par une scène de cauchemar, première d’une série de « flashes » qui vont émailler tout le roman. Tout de suite après, nous sommes replongés dans la vie de la patrouille de nuit : Aidan Waits et son coéquipier Sutcliffe  - qu’on appelle plus volontiers Sutty, vu sa fâcheuse homonymie avec le célèbre éventreur du Yorkshire – répondent à un appel venant d’une résidence étudiante de Manchester. Une jeune fille est victime de harcèlement : un homme avec qui elle a couché une fois menace de rendre publique une vidéo de leurs ébats si elle ne veut pas "remettre le couvert".    


C’est Aidan Waits qui s’y colle : Sutty n’a pas beaucoup de goût pour ces histoires de filles, comme il dit.  Il n’a pas de goût pour grand-chose à vrai dire, c’est même pire que cela. Selon Aidan, son partenaire nocturne n’a pas de plus grand plaisir que de voir les humains s’enfoncer aussi bas que possible. Misogyne, misanthrope, raciste, odieux, Sutcliffe a choisi la patrouille de nuit. Aidan, lui, vu son passé pour le moins chargé, n’a pas vraiment le choix.  Le maître chanteur vit dans un des nouveaux appartements luxueux de Manchester, et Aidan va lui rendre une petite visite et se montrer dissuasif. Mais Aidan ignore encore à qui il a affaire : l’homme dirige une web TV d’extrême-droite, et dispose d'un réseau puissant…

Le Palace Hotel (Manchester)
 La nuit n’est pas finie. Direction le centre de Manchester. L’appel vient de l’ex-Palace Hôtel. C’est la responsable de la société immobilière chargée de la vente du bâtiment qui donne l’alerte : l’alarme s’est déclenchée, et le veilleur de nuit ne l’a pas arrêtée.  Et pour cause, on le retrouve assommé au 3° étage. Et la fête continue…  Aidan grimpe jusqu’au 4° étage de ce bâtiment désert, désolé, aux portes fermées. Sauf celle de la chambre 413, une suite qui a dû être somptueuse. Là, un homme est assis face à la fenêtre, immobile. Mort. Elégamment vêtu, de type moyen-oriental, le  regard bleu acier, et les lèvres largement ouvertes sur une dentition éclatante, en un sourire terrifiant.  L’homme est impossible à identifier : plus d’empreintes, aucun papier, aucune étiquette sur ses vêtements. L’affaire promet d’être ardue.

Elle va l’être, bien plus qu’Aidan ne l’imagine. Cette enquête-là va tourner entièrement autour de la question de l’identité : qui est qui, au-delà des apparences ? Faux-semblants, fausses pistes, fausses victimes, faux coupables : comment le malheureux Aidan Waits va-t-il se sortir de cet épouvantable jeu de miroirs ? Question d’identité pour lui aussi, qui voit ressurgir d’un passé lointain l’être diabolique qui a fait de lui ce qu’il est.  Aidan est seul, certes, car son partenariat avec Sutcliffe n’a rien d’une franche camaraderie. Seul, vraiment ? Alors qu’il passe sa vie à recevoir des appels anonymes et menaçants, à trouver dans sa boîte à lettres des courriers anonymes et menaçants, à regarder par-dessus son épaule à la recherche d’un suiveur anonyme et menaçant ? Jamais un moment de répit pour cet homme-là, jamais une lueur d’espoir. Ajoutons à cela qu’il nourrit la fâcheuse habitude, tout comme le Jack Taylor de Ken Bruen, de se faire sévèrement passer à tabac, et que sa hiérarchie continue à le traiter comme un malpropre dont il conviendrait de se débarrasser, et vous vous ferez une idée de l’état dans lequel se trouve le malheureux Aidan Waits.  Vous aimez votre roman noir très noir ? Joseph Knox est fait pour vous.

Il serait dommage de passer sous silence le style de Joseph Knox : il travaille ses atmosphères comme personne, décrit sa ville sous le soleil écrasant de l’été, esquisse ses décors à coups de crayon puissants, fait naître des personnages qui, d’emblée, prennent leur place dans le récit et l’esprit du lecteur, émaille ses dialogues d’expressions particulièrement fleuries et imaginatives, véritables défis à la créativité de la traductrice ! Il met au service d’un sens du suspense singulier une construction habile et efficace, avec des noms de chapitres inspirés par l’univers musical. Il alterne ainsi les intrigues contemporaines qu’il mène de front et les flash-backs de plus en plus longs qui lèvent le voile, en partie, sur l’effroyable histoire personnelle d’Aidan Waits.  Et ce n’est pas le moindre de ses mérites que de réussir à nous accrocher à de multiples intrigues parallèles, sans jamais nous perdre, tout en tissant sa toile de fond qui finit par unir ces histoires en un drame passionnant, émouvant, éprouvant.   

Car au final, c’est sans doute cela la grande réussite de Joseph Knox : parvenir, dès le deuxième roman, à imposer un héros littéraire profondément humain, à développer une fresque  urbaine moderne, violente et chaotique,  tout en se livrant à une introspection sans concession. 

Joseph Knox, Chambre 413, traduit par Fabienne Gondrand, Le Masque

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