13 octobre 2019

Dominique Forma, « Coups de vieux » : une sale histoire…

Ah l’âge, le temps qui passe, les rides, les muscles qui ne sont plus qu’ils étaient, les idéaux en berne, et tout ce qui va avec… Comment supporter ça, cet insupportable déclin, ce naufrage, comme disent certains ? Dominique Forma a trouvé sa parade personnelle avec ce roman à la fois noir et drôle, mélancolique et culotté (ou pas), où il associe son goût pour l’intrigue et son penchant pour une certaine forme de sensualité.

Le Cap d’Agde, qu’est-ce que ça évoque pour le lecteur lambda ? Le soleil, la plage, le naturisme, et puis, le soir, pour certains, la fameuse Baie des Cochons où se retrouvent celles et ceux pour lesquels « le plaisir, c’est maintenant. Dans la vie, il faut pro-fi-ter. Trois syllabes pour que la jouissance virevolte entre tango et mambo. » Tel est le credo d’André Milke, venu passer quelques jours au château de Garens, propriété viticole appartenant à son vieil ami Luc Dallier. Ces deux-là se sont connus quarante ans auparavant : tous les deux ont fait le coup de poing sous l’étendard de la Gauche prolétarienne, combattu l’extrême-droite et la flicaille. 


Si Luc s’occupe désormais du domaine familial, André est devenu journaliste, puis documentariste. Les deux hommes ne se sont pas vus depuis longtemps, mais Luc a appelé son vieux complice : il vient de rencontrer une jeune femme, Emma Paretto, et il voudrait la présenter à André. Emma la Normande, ses joues rondes et sa candeur, sa jeunesse et son charme…

Ce soir-là, André a décidé de laisser le jeune couple à ses amours. Le voilà parti vers ce bout de plage naturiste, un peu à l’écart du centre du Cap d’Agde, loin du tourisme familial, des bars et des boîtes. Direction la Baie des Cochons. Il s’est soigneusement préparé à une soirée bien chaude : toilette soignée, Habanita –  un parfum que je croyais oublié – torse nu, short australien et boucle d’oreille, sac banane pour les clés, le portable et les préservatifs : notre héros est fin prêt. La première sera la bonne…  Justement, là-bas, dans la pénombre des dunes, des ombres masculines sont rassemblées autour d’un mystérieux trésor. Les hommes s’éloignent vite, trop vite, laissant derrière eux une femme étendue sur le ventre, nue, qui n’attend plus que lui. Elle est belle, très blanche, alanguie. Trop alanguie. La femme est morte, raide, froide, son corps est marqué de traces terribles, de griffures profondes. Pire encore, cette femme n’est pas une inconnue : elle s’appelle Emma Paretto… 

A une trentaine de kilomètres de là, à Béziers, Clovis Martinez, kiosquier à la retraite forcée, rumine son passé de militant OAS et ses relations houleuses avec le journaliste André Milke, un de ses ennemis jurés, « racaille gauchiste » avec lequel il s’est régulièrement « fritté » depuis plus de 40 ans.  Nostalgique, aigri, rageur, Clovis s’est installé à Béziers, où il a pour voisine provisoire la jeune Alexe, qui a quitté la grisaille parisienne pour s’offrir des vacances à thème. Certains partent faire de la voile, du  tennis ou du cheval. Alexe, elle, veut se faire sauter par un maximum de types.  « Durant les vacances d’été, tout est bon dans le garçon. » Du coup, elle agace sérieusement son vieux voisin ronchon, qu’elle provoque avec un plaisir non dissimulé. Et devinez quoi ? Ces deux-là vont devenir copains comme cochons. 

Au château de Garens, c’est la désolation. En plus de l’assassinat d’Emma, Luc Dallier doit faire face à l’incendie qui a emporté la discothèque qu’il projetait d’ouvrir avec Emma sur le terrain du château. L’enquête sur le meurtre n’avance pas beaucoup, et en plus les affaires ne sont guère florissantes, malgré les efforts d’Anaïs Lylle, jeune diplômée engagée par Luc Dallier pour mettre de l’ordre dans la société familiale. Anaïs a un gros défaut : elle est laide, sans charme. Elle a deux grandes qualités : son intelligence et son sens des affaires. Elle est tellement maline, Anaïs, qu’elle n’est pas vraiment ce qu’elle semble être.

 
Comment ces personnages vont-ils finir par se retrouver pour s’efforcer d’élucider le mystérieux assassinat d’Emma ? C’est ce que raconte Coups de vieux. Dominique Forma est un auteur chevronné : il sait monter une intrigue, caractériser et manipuler ses personnages, faire avancer son histoire. Il sait aussi creuser la personnalité de ses protagonistes à l’aide de flash-backs et de pas de côté. Du coup, il nous embarque sans difficulté derrière lui, et nous harponne en vérité davantage avec ses personnages, en particulier ses deux vieux frères ennemis dont le rapprochement montre que même quand les combats sont différents – et dans ce cas-là, ils le sont diablement - , ce qui compte, c’est de se battre ; contre l’âge et ses vicissitudes, contre la pourriture du monde…
  
Je mentirais si je passais sous silence un certain agacement ressenti par la féministe qui sommeille en moi – elle a le sommeil léger - face au sort réservé aux personnages féminins…  La jeune Emma fait un passage éclair dans le récit, puisque c’est elle la victime. Alexe – Jacqueline est son vrai prénom – est une femme dont « le corps balance entre vice et vertu », et qui a choisi son côté, pas forcément celui qui rend heureuse. « Le reste de l’année, Jacqueline garde la tête baissée, celle-là, elle ne vaut rien, tu ne veux pas la rencontrer », déclare-t-elle à Clovis. Le libertinage ne rendrait-il pas heureux ? Quant à Anaïs, la fille laide, son intelligence et ses qualités de stratège ne lui seront pas d’un grand secours. Bilan, côté femmes : la déroute. Pour être honnête, le bilan, côté hommes n'est guère plus réjouissant, les souvenirs en plus, ces cadeaux empoisonnés qu’apporte la vieillesse. Bref, malgré sa truculence, Coups de vieux est finalement… un vrai roman noir.

Dominique Forma, Coups de vieux, « La Bête noire », Robert Laffont

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