Le deuxième temps, en 1964, commence avec la disparition de Kuroda Roman, écrivain qui se préparait à écrire un livre sur l'affaire Shimoyama. Le détective Murota Hideki, ancien flic révoqué, va se pencher sur cette disparition, à la demande de Hasegawa, jeune homme élégant qu'il voit un jour débarquer dans son bureau minable. Hasegawa lui explique que la maison d'édition pour laquelle il travaille a signé avec Kuroda un contrat d'édition assorti d'une avance confortable pour un livre à paraître. Or, Kuroda Roman a disparu, et son hypothétique manuscrit avec lui. Où est passé le vieil écrivain ? Murota Hideki a besoin d'argent, et puis l'affaire commence à l'intriguer. Il accepte la mission. Et n'a aucune idée de ce qu'il attend...
En 1988, le traducteur Donald Reichenbach, 74 ans, vit à Tokyo, dans le quartier de Yushima, avec son chat Grete. Et l'Empereur Hiro-Hito se meurt. Il a 87 ans, et chaque jour les médias diffusent son bulletin de santé détaillé. Il n'en finit pas de mourir. Quarante ans auparavant, Don avait été convoqué par son employeur, "le Grand Sorcier du Palais des Taupes", Frank, des services secrets américains. On a besoin de lui au Japon : "... on a été dépouillés par des gangsters, bernés par les cocos, mais plus question que ça recommence, pas au Japon, Don, pas pendant que je serai à mon poste, Don, pas au Japon", plaide Frank. Don partira, sous couvert d'un remplacement à la section économique. Et il restera. Et gardera pour lui, toutes ces années, l'invraisemblable vérité... celle de David Peace.
David Peace en aura-t-il vraiment terminé un jour avec Tokyo occupée ? On a du mal à le croire tant, depuis plus de vingt ans, il pourchasse les fantômes, les morts, les secrets qui le hantent. Tokyo revisitée est sans doute plus facile d'accès que ses deux prédécesseurs et pourtant la voix de David Peace, lancinante, creuse son sillon toujours plus loin, touche toujours plus proche de la douleur, de la plaie à vif. En lisant Tokyo revisitée, il m'est très vite revenu à la mémoire le film maudit d'Akira Kurosawa sorti en 1970, Dodes'kaden, où un jeune garçon arpente un bidonville japonais en imitant le bruit du tramway, "dodes'kaden, dodes'kaden". Premier film en couleurs de Kurosawa, Dodes' kaden a reçu un accueil très négatif au Japon: on lui reprochait entre autres son usage très particulier de la couleur, très loin du réalisme, et son approche kaléidoscopique. A tel point que Kurosawa fit une dépression et une tentative de suicide.. C'est à l'étranger que le film gagnera ses galons...
Chez David Peace, il y a l'omniprésence des voies de chemin de fer, la personnalité même de la victime, qu'on appelait l'Homme qui Aime les trains, et le sort des enquêteurs chargés de l'affaire maudite. Il y a, en parallèle, un Harry Sweeney digne des polars hard boiled, et le même qui peu à peu se laisse entraîner, noyer, dans un monde qu'il ne peut pas comprendre et au cœur d'intrigues qu'il ne peut pas résoudre. Des personnages secondaires qui deviennent des personnages clés en traversant le temps. Des solitudes qui, comme des voies de chemin de fer parallèles, ne se croisent jamais. Cet usage obsessionnel de la répétition qui exerce sur le lecteur un effet de fascination, la sensation qu'on ne peut pas s'arracher à une prose à nulle autre pareille, où forme et fond se tiennent la main jusqu'au chaos... Avec Tokyo revisitée, David Peace apporte un point final magistral à une entreprise littéraire comme il y en a peu, et signe un roman aussi exceptionnel que bouleversant.
David Peace, Tokyo revisitée, traduit par Jean-Paul Gratias, Rivages/Noir
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