D'emblée, l'auteur nous met dans l'ambiance : "Partout dans la ville, sous d'innombrables auvents noirs désormais à la mode, on voyait ouvrir de nouveaux restaurants de luxe, des bistrots qui servaient uniquement des conserves, des bars à tapas et des fast foods. Jeunes célibataires, retraités, indépendants ou couples prospères du monde entier recherchaient une maison à Lisbonne." Soyons honnêtes, hormis les charmes de Lisbonne et des plages, universellement vantés, nous ne savons pas grand-chose de ce voisin du sud, paradis des retraités en quête d'un cocon fiscal et de vie au soleil. Du coup, le mécanisme classique est en marche : la demande immobilière est tellement grande que les "locaux" n'arrivent plus à se loger. Miguel Szymanski va se charger de nous en dire un peu plus sur ce qui se trame au Portugal, et son héros Marcelo Silva va se faire un plaisir de nous entraîner dans sa première enquête, qui touche de près le prestigieux établissement bancaire du pays, le BVG (Banco de Valor Global).
Le livre s'ouvre sur un prologue inquiétant, où une mystérieuse femme s'affaire à préparer une "chambre d'hôtes" d'un genre un peu particulier... Quand le roman commence, Marcelo arrive tout droit de Berlin et s'installe dans l'appartement qui l'attend, face à l'hôtel Principe Real. C'est le dernier week-end avant le grand changement. Et il est bien décidé à faire bouger les lignes. L'auteur lui a octroyé une bonne semaine pour arriver à ses fins. C'est plus qu'il n'en faut à Marcelo pour faire éclater au grand jour des affaires spectaculaires et gravissimes. Dans son collimateur, hommes d'affaires, banquiers, escrocs. Vaste programme...
D'abord, reprendre ses marques. En l'occurrence, retrouver les deux amis avec lesquels il a fait les quatre cents coups dans sa jeunesse. A commencer par Margarida, une sacrée bonne femme pas franchement sympathique : "Margarida était une homophobe assumée. Mais elle était aussi misogyne, généralement misanthrope, rarement empathique, antisioniste, ennemie déclarée de la causse palestinienne, et allergique au gluten et aux protéines du lait de vache." A quarante-quatre ans, elle vit depuis des années en vase clos dans un immense et luxueux appartement. Il réussit à la décider à sortir pour dîner dans un restaurant chic, l'Açordas. Ensemble, ils évoquent leurs vieux souvenirs et la troisième partie de leur trio, Vasco, journaliste spécialisé dans la mode, quand arrive Antonio Carmona, le banquier des riches, président du BVG, accompagné d'un ancien ministre, Avelino Simoes, numéro deux du même BVG. Les deux hommes sont vite pris à partie par un type venu réclamer son dû. Et qui n'a pas l'air content...L'incident dure cinq minutes, assez pour jeter un froid.
Anne-Lotte O´Dwyer, CC BY-SA 2.0 <https://creativecommons.org/licenses/by-sa/2.0>, via Wikimedia Commons |
Le lendemain, branle-bas de combat : un jeune agent de l'Institut vient d'être assassiné. Marcelo reconnaît immédiatement l'homme qui a failli le renverser pas plus tard que la veille... La vie n'est pas un long fleuve tranquille, Marcelo le sait bien. Et là, il est au cœur du problème... Dérouler la pelote, suivre le fil qui va du crime à la fraude fiscale en passant par les profits illégaux, les chantages et les prises de pouvoir dissimulées... Car le BVG d'Antonio Carmona est le château de cartes du titre du roman : Carmona, un homme d'origine plutôt modeste, s'est hissé aux premiers rangs du pouvoir économique à coups de pots de vin, de tours de passe-passe, d'escroqueries diverses et variées. Et on peut dire qu'il a réussi puisque le BVG est aujourd'hui un pivot de l'économie portugaise, mais il s'est aussi mis entre les mains d'un fonds financier angolais... Juste retour des choses, l'ex-colonie portugaise tire les ficelles de son ex-colonisateur... Et Antonio Carmona a disparu... Où est-il, qui le menace, à qui est destinée la chambre d'hôtes particulière dont il est question dans le prologue du livre ? Marcelo Silva a du pain sur la planche, et la planche est savonneuse...
Miguel Szymanski nous offre un roman comme on les aime, un de ceux qui révèlent les coulisses d'un monde qui nous échappe. Et, cerise sur le gâteau, il nous promène dans les rues de Lisbonne et nous restitue les odeurs, les couleurs des lieux qu'il connaît bien, et qui ne sont pas nécessairement ceux que les touristes fréquentent le plus. Il a su créer un personnage attachant d'emblée, et donner envie à son lecteur de découvrir d'autres enquêtes de ce drôle de bonhomme à la fois humain et incorruptible.
Miguel Szymanski, Château de cartes, traduit du portugais par Daniel Matias, Agullo éditions
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