Maryla Szymiczkowa est le pseudonyme du couple d'auteurs polonais Jacek Dehnel et Piotr Tarczynski, et Madame Mohr a disparu est la première d'une série d'enquêtes dont l'héroïne est Zofia Turbotynska, une bourgeoise de 38 ans qui vit rue Saint-Jean à Cracovie avec son mari, professeur à l'université. Nous sommes en 1893 et Zofia Turbotynska s'ennuie. Certes, la situation de son mari lui confère un certain statut dans la bonne société cracovienne, mais elle aspire à davantage. Il faut dire qu'elle a fait ce qu'il fallait pour faire oublier ses propres origines "provinciales" : Zofia n'est pas née à Cracovie, mais à Przemysl. Elle a néanmoins reçu une excellente éducation qui lui a permis d'épouser Ignacy, puis a travaillé dur pour adopter les habitudes qui font une Cracovienne respectable : elle fréquente les bons commerçants, va à la messe quand il faut et lit le bon journal. Elle connaît comme personne l'histoire des grandes familles de la ville. N'empêche, Zofia s'ennuie. Sa vie domestique et ses vaines tentatives pour devenir poétesse ne suffisent pas à son bonheur. Alors elle fait dans les bonnes œuvres et s'efforce de recueillir des fonds pour les enfants atteints de tuberculose.
Ce jour-là, la charité guide ses pas et ceux de sa domestique Franciszka jusqu'à la maison de repos Helcel, où les religieuses accueillent d'un côté des nécessiteux, logés dans des dortoirs, de l'autre des dames seules et âgées de la bonne société qui vivent dans de petits appartements, parfois même avec leurs domestiques. Son but ? Obtenir des dons pour la loterie au bénéfice des enfants scrofuleux. Zofia arrive au mauvais moment. En effet, "Madame Mohr a disparu". Veuve d'un magistrat, la respectable vieille dame s'est volatilisée le matin même, semant la panique à la Maison Helcel. Alors bien sûr, les enfants scrofuleux attendront que Madame Mohr soit retrouvée.
Non seulement on ne retrouve pas Madame Mohr, mais les disparitions et les morts suspectes se succèdent, jetant la Maison Helcel dans un indescriptible chaos. Zofia, qui ne déteste pas lire des histoires policières, se prend au jeu et se métamorphose en détective, au grand dam de la police locale qui voudrait bien s'en débarrasser... Les auteurs ont pris un plaisir évident à concocter une intrigue bien compliquée, avec toutes les fausses pistes et les surprises qu'on attend d'un tel roman.
Le Théâtre Julius Slowacki à Cracovie (source Wikimedia) |
Mais si le déroulement de l'enquête s'apparente bel et bien aux romans de la grande Agatha Christie, jusqu'au final du dévoilement de la vérité, Maryla Szymiczkowa a décidé de prendre des risques en choisissant une héroïne qui n'emporte pas immédiatement l'approbation du lecteur. Zofia est arriviste, conformiste, radine... Au fil des pages, elle gagne en épaisseur et en intérêt, dévoilant en un lent strip-tease ses qualités d'enquêtrice intrépide et de psychologue, capable de tirer les vers du nez au plus réticent des témoins. Le caractère de Zofia donne également naissance à des traits d'esprit plutôt bienvenus, ce qui n'est pas toujours le cas lorsque les auteurs de polars se piquent d'humour.
Les auteurs ont fait le choix de la ville de Cracovie, qui déjà à l'époque était considérée comme la capitale culturelle de la Pologne : les déambulations de Zofia donnent envie d'arpenter les ruelles de la ville, d'en admirer l'architecture, d'y débusquer les recoins les plus secrets. Ils ont choisi l'année 1893, celle-là même de l'inauguration de l'opéra théâtre Juliusz Słowacki, chef-d'œuvre du baroque construit sur les décombres d'un ancien cloître. La situation géographique de la ville et son histoire politique riche en influences donnent naissance à un contexte cosmopolite, où l'on parle de multiples langues, dont les auteurs ont habilement tiré parti pour créer une atmosphère fin de siècle très réussie et vraiment originale. Hommage plein d'humour au Golden Age du roman policier, cette première enquête de Zofia Turbotynska met le lecteur en appétit, et lui donne envie de lire très vite la deuxième.
Maryla Szymiczkowa, Madame Mohr a disparu, traduit par Marie Furman-Bouvard, Agullo Éditions
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