Stéphane, 52 ans, est un homme à la dérive : il vient de perdre son entreprise de transports dans des circonstances dramatiques. Quelques années auparavant, le petit hôtel qu'il tenait avec son épouse Irène avait fait faillite. Il est en pleine déprime : sa femme n'en peut plus, ses filles non plus, mais comme elles ont toutes les deux quitté la maison, ça se voit moins. Il traîne à la maison pas rasé, pas lavé. Il ne se reconnaît plus, et Irène non plus. Il est bien loin, le temps où ils partageaient les discussions enflammées, les rires, les projets enthousiastes... Le couple vit dans une maison encore en travaux et pas encore payée près de Firminy, pas très loin de Saint-Étienne. Irène travaille, heureusement, mais son emploi de vendeuse dans un magasin de vêtements n'a rien d'exaltant et ne rapporte pas grand-chose. En réalité, tout est réuni pour que le couple se fracasse sur le mur de l'échec économique et des illusions perdues.
L'oncle et la tante de Stéphane, Louise et Etienne, plus de quatre-vingt-dix ans, ont décidé de s'installer dans une maison de retraite. Depuis plusieurs mois, ils vident leur maison en prévision de leur nouvelle vie. C'est ainsi que Stéphane va récupérer un tableau qui lui vient de ses grands-parents. La toile est signée Eli Trudel, peintre juif ami d'Odilon Redon, de Max Jacob et d'Henri Matisse, qui aurait, raconte l'histoire familiale, été caché et aidé par les grands-parents de Stéphane pendant la guerre et qui leur aurait donné le tableau en remerciement. Stéphane tombe des nues : il ignorait tout de cette histoire. Eli Trudel est un artiste coté : le tableau est expertisé à une centaine de milliers d'euros. Pour Irène, c'est une aubaine, l'occasion de faire table rase et de repartir du bon pied. Mais pour Stéphane, cette toile représente bien davantage : le témoignage du courage de ses grands-parents, un souvenir inestimable. A tel point qu'il se met en tête de faire reconnaître ses aïeux en tant que Justes. Pour cela, au grand dam d'une Irène au désespoir, il entreprendra toutes les démarches nécessaires, en France pour commencer. Contre toute attente, sa demande est bien accueillie. Il est convoqué en Israël, au centre Yad Vashem, pour y présenter son dossier. Ce voyage va lui coûter les maigres économies qui lui restent...
Le prologue du roman nous présente un Stéphane jeté dans une cellule par la police israélienne, accablé. Lui qui voulait faire reconnaître le rôle de ses grands-parents, le voilà accusé d'être le descendant de voleurs qui auraient dépouillé l'artiste. Stéphane songe à Irène, qui s'opposait à sa démarche et qui avait bien raison. Il songe surtout à ses grands-parents, qu'il voulait honorer et dont il est en train de salir la mémoire. Stéphane est sûr que les autorités se trompent, mais comment le prouver ? Et surtout, comment sortir de cette mauvaise passe ?
Nous allons donc suivre Stéphane dans ses aventures improbables, et surtout l'accompagner dans sa recherche éperdue de la vérité. Pour la dévoiler, il devra, et nous avec lui, retracer le parcours d'Eli Trudel et de sa femme, depuis leur départ en 1943 du village de Provence où ils avaient trouvé refuge, aidés par leur ami Matisse. On vient de les informer de leur arrestation imminente : il faut gagner l'Espagne de toute urgence. Et pour cela, il seront pris en charge par un groupe de résistants qui les attend dans la Drôme. Les voilà partis en vélo, leurs valises sur les porte-bagages...
Benoît Séverac nous raconte avec sobriété et émotion le parcours chaotique de ce couple en fuite, les paysages qu'ils traversent au cours de leur échappée, les épreuves qu'ils subissent et les coups du sort qui s'acharnent. Avec l'histoire d'Eli Trudel et sa femme, c'est tout un pan atroce de la grande histoire qui se déroule devant nous : Benoît Séverac met son talent narratif au service de la mémoire collective tout en racontant l'histoire personnelle de Stéphane et de sa famille. Le passé - la fuite des Trudel - alterne avec le présent - la quête/enquête de Stéphane qui va reconstituer toute l'histoire, voyageant à travers la France, en Israël et jusqu'en Espagne pour, enfin, dévoiler de sordides secrets et aboutir à un coup de théâtre particulièrement réussi - et les deux histoires parallèles trouvent un bel équilibre. La grande histoire, ses complexités et ses péripéties cachées, côtoie la petite histoire, celle d'un homme à bout de souffle qui se lance avec l'énergie du désespoir dans une aventure qui le dépasse, redonnant du sens et de l'élan à sa vie : Le Tableau du peintre juif est une belle réussite, un roman aussi passionnant qu'émouvant, qui fait travailler notre mémoire et battre notre cœur.
Benoît Séverac, Le Tableau du peintre juif, La Manufacture de livres
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