On connaît Olivier Truc, correspondant du Monde à Stockholm, en particulier pour sa série sur la police des rennes (Le Dernier Lapon, Le Détroit du loup, La Montagne rouge et Les Chiens de Pasvik). Cette fois, changement de cap : c’est au Pakistan, plus particulièrement à Karachi, que nous entraîne l’auteur pour une enquête semée d’embûches, inspirée par des faits réels, où la vérité passe peut-être par la poésie…
Le 8 mai 2002, un attentat-suicide fait 14 morts à Karachi, dont 11 ingénieurs français de la Direction des Constructions Navales (DCN). L’équipe française travaillait à la mise au point d’un sous-marin vendu par la France au gouvernement pakistanais, vente conditionnée par un transfert de technologie. Vingt ans plus tard, la ville de Cherbourg s’apprête à commémorer l’événement et rendre hommage aux victimes.
Jef Kerral, journaliste de la presse locale, se morfond dans un emploi qui ne satisfait pas son goût pour la recherche de la vérité et de l’aventure. Il se prépare à couvrir la Fête du cidre et un attentat dans un supermarché de Heidelberg qui a fait une blessée, jeune graphiste française. Certes, il assistera aux cérémonies commémoratives, mais la perspective ne suffit pas à assouvir sa curiosité pour cette affaire qui a fait l’objet de bien des hypothèses, mais qui n’est toujours pas résolue. Il a de bonnes raisons de s’intéresser à l’attentat de Karachi : son père faisait partie de l’équipe de la DCN, et il a échappé à l’attentat. Tout comme Marc, le père de son meilleur ami Greg. Les deux hommes ont eu deux réactions radicalement opposées après l’attentat : le père de Jef s’est rangé du côté de l’entreprise – ne pas faire de vagues. Marc, lui, n’a de cesse depuis 20 ans d’essayer de comprendre ce qui s’est passé, il enquête, accumule la documentation. Un nouvel attentat vient d’avoir lieu à Karachi : une bombe a explosé près d’une école, faisant des dizaines de morts. Il est temps pour Jef : le petit journaliste de province décide d’embarquer pour Karachi pour y rechercher la vérité sur un événement qui, s’il a soulevé en France une sorte de tsunami politique sur fonds de corruption, de financement occulte de campagne électorale et de scandale, n’a pas pour autant été réellement élucidé.
Karachi en 1990, Wikimedia Commons, Ziegler175 |
Pour une première dans le monde du reportage international sur le terrain, Jef n’a pas choisi la facilité. Il débarque dans un pays dont il ne connaît ni la langue ni la culture, où l’armée fait régner une terreur effroyable. Ses seuls contacts possibles sur place, il les doit aux souvenirs de Marc. Shaheen Ghazali, binôme de Marc, officier mécanicien et amateur de poésie, qui était venu à Cherbourg pour préparer sa mission. Sara, qui envoyait à Marc des messages dictés par Shaheen, des lettres mystérieuses, entrecoupées de poésie. Sara avait aussi prévenu Marc que Shaheen allait mal, qu’il avait décidé de s’installer dans un village de pêcheurs. Pour s'y cacher ? En arrivant à Karachi, Jef n’a qu’une chose en tête : trouver Shaheen, parler à Sara, les convaincre de l’aider à trouver la vérité. Se mettant lui-même en péril, les exposant ainsi aux dangers les plus redoutables.
Olivier Truc nous entraîne à la suite de Jef dans un voyage
dans l’espace et dans le temps, dans un pays qui se débat entre ses tensions
intérieures, le terrorisme, et sa situation géopolitique. Il nous rappelle du
même coup nos propres lâchetés, les complots et magouilles politiques qui ont
marqué notre histoire récente. Plus important sans doute, il nous ouvre les
yeux sur des hommes et des femmes traqués, sur une culture bâillonnée et un
peuple qui retrouve un peu de liberté grâce à la poésie, qui là comme ailleurs,
s’avère porteuse de lumière et de vérité. Une enquête passionnante, des
personnages émouvants, une exploration lucide de l’histoire et des violences du
présent : Olivier Truc réussit avec brio son incursion au Pakistan.
Olivier Truc, Les Sentiers obscurs de Karachi, Métailié noir
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