30 novembre 2015

Impressions d'Europe à Nantes : une fête pour les amateurs de littérature anglaise (1)

Pour aller à la rencontre de la littérature anglaise ce week-end, il suffisait d'aller à ... Nantes, où se tenait le festival annuel "Impressions d'Europe" (voir le site ici). Un festival qui sait faire la part belle au polar et au roman noir. Quelques morceaux choisis, instantanés d'un week-end riche en surprises et en émotions, malgré les défections de Joseph Connolly et Michka Assayas. La manifestation commençait vendredi avec un rendez-vous avec Posy Simmonds, auteur des romans graphiques Literary Life, Gemma Bovery et Tamara Drewe, puis se poursuivait avec une rencontre autour de Virginia Woolf. Samedi après-midi, la parole était aux jeunes auteurs britanniques Jessie Burton et Benjamin Wood. Arrivée un peu tardive pour moi, emploi du temps oblige, et quelques regrets d'avoir, comme on dit, "raté le début"...

Vous trouverez également un compte rendu sur la page de Fondu au noir


Samedi 28 novembre, table ronde "Pop, rock, punk et littérature anglaise"
Modérateurs : Henri Landré et Patrice Viart - Interprète : Morgane
Avec Cathi Unsworth (auteur de 4 romans noirs parus chez Rivages, voir ici chroniques et interview), Jean-Marie Pottier (journaliste à Slate et auteur de Indie pop 1979-1997 - Les mots et le reste) et François Gorin, journaliste à Télérama, auteur de nombreux ouvrages sur la musique)



L'époque punk
Cathi Unsworth
A l'époque des Sex Pistols, il s'est ouvert en Angleterre une petite fenêtre d'opportunités pour les gens de la classe ouvrière, qui leur a permis de s'éloigner du parcours traditionnel industriel, à savoir la vie à l'usine. L'establishment avait vraiment peur des Sex Pistols et des idées qu'ils véhiculaient. On a jamais revu ça depuis ! Je n'avais pas de diplôme universitaire, pas de légitimité au sens traditionnel du terme. Le paysage de l'époque était très différent de celui d'aujourd'hui, plus créatif en fait. Quand j'ai commencé à écrire pour des magazines de musique, je n'avais pas de formation. A 19 ans, on m'a offert cette opportunité-là. Il n'y avait pas ces barrières qui empêchent les gens de la classe ouvrière de faire du journalisme. Aujourd'hui, tous ceux qui travaillent dans la presse musicale sont issus des classes moyennes. Le contexteest beaucoup moins ouvert.

François Gorin
J'ai commencé à écrire pour Rock and Folk au début des années 80, mais je ne suis pas du tout un enfant du punk. Toute mon éducation musicale s'est faite dans la première moitié des années 70. De plus, Rock and Folk était un journal vraiment enraciné dans la contre-culture des années 70. Et puis l'accès à la musique n'était pas aussi immédiat qu'aujourd'hui. Je me rappelle qu'un copain qui vivait à Londres nous avait rapporté le premier single des Sex Pistols : il était introuvable ici, c'était une rareté. On percevait moins la dimension sociale du mouvement punk. Pour nous, c'était nouveau, ça ramenait le rock à quelque chose de plus élémentaire, brutal, primitif et même joyeux. Le punk arrivait après une certaine dérive du prog'rock. C'était le retour au single aussi, les petits labels, la possibilité pour des petits groupes d'émerger rapidement. Une idée qui a d'ailleurs engendré l'indie pop par la suite.

Jean-Marie Pottier
L'intérêt du punk, ça a été de faire table rase, de mettre fin aux débordements virtuoses de certains groupes progressifs. Le punk a incité les groupes à se lancer, sans prétention.

Ici, court intermède musical avec un extrait She's lost control de Joy Division, suivi d'une belle lecture du texte de la chanson par Cathi Unsworth (vous pardonnerez, j'en suis sûre, la qualité inégale de l'audio)..






Chanson et littérature, chanson et poésie ?
François Gorin  
Le fait de dépouiller une chanson de sa musique la prive bien sûr de sa pulsion d'origine. Une émission de télé américaine, qui avait pour but de "débiner" le rock, avait pris pour principe de présenter les paroles seules pour montrer à quel point c'était mauvais pour les jeunes...  Ian Curtis avait évidemment une ambition poétique, ce qui n'était pas le cas pour le mouvement punk. Il voulait dépasser ce mouvement de rébellion pour essayer de construire quelque chose. Mais la rencontre entre Ian Curtis et son producteur de génie, suivie des difficultés que Curtis connaissait sur le plan privé, a abouti au drame qu'on sait, avec le suicide de Curtis.

Jean-Marie Pottier
Oui, il y a eu des gens comme Ray Davies, Paul Weller et d'autres qui ont fait un vrai travail d'auteur. Mais quand on lit leurs paroles sans le son, on perd évidemment la moitié de la valeur de l’œuvre.

François Gorin
D'ailleurs, il y avait un vrai paradoxe : malgré ça, les fans des années 70 et 80 adoraient trouver les paroles des chansons dans les pochettes des disques.

Cathi Unsworth

La matière que j'utilise dans mes romans vient vraiment de mon expérience des concerts. Et puis mes romans ont été écrits, pour certains, avant l'apparition de YouTube, donc je me servais de vieilles vidéocassettes un peu floues. Depuis 2003, tout a beaucoup changé, c'est beaucoup plus "clean". (...) Pour moi, un des défis de l'écriture était de rendre ce qui se produit parfois entre plusieurs personnes pendant un concert de rock, cette espèce d'incroyable communion que peut provoquer la musique. Mes livres ont tous pour point central cette chose indéfinissable qui relie les gens, et aussi a contrario ce qui les sépare. La musique est capable d'engendrer des sentiments très forts. Si mes romans sont sombres, ils parlent aussi d'amitié et de créativité.

Intermède avec un extrait de
London Calling des Clash

Musique et témoignage ?
Cathi Unsworth
Dans mes romans, j'essaie de parler de périodes que j'ai vécues, de capturer des aspects volatils qui n'ont pas forcément été documentés dans la littérature de l'époque. Je voudrais garder une trace de ces moments, de ces éclairs de joie, de ces atmosphères.

François Gorin
En tant que critique français vivant à Paris, je sentais bien que l'énergie du Clash venait du fait de vivre à Londres. Nous, on voulait que le Clash vienne jouer à Paris, on n'avait qu'un aperçu lointain de ce que vivaient les musiciens en Angleterre. Donc la question de la résonance sociale était bien moindre en France.

Jean-Marie Pottier
Les morceaux, les albums racontent l'histoire d'un pays. Souvent, quand les artistes essaient de faire quelque chose de spécifiquement politique, ça ne passe pas. Une grande chanson politique, ça tombe un peu par hasard, pas délibérément. On peut prendre l'exemple de la chanson des Specials qui s'appelle Lost town, sortie en 1980, et qui est un modèle du genre. Sans intention  militante, cette chanson est mémorable, c'est vraiment la bande son de l'époque thatcherienne.

Et pour vous récompenser d'avoir lu jusqu'au bout, la surprise du jour : une interprétation sauvage de My Way (version Sid Vicious) par un Tim Willocks tout en énergie.




A suivre...

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