6 mars 2017

Peter Robinson, "Moissons sanglantes" : quand l'inspecteur Banks s'en mêle...

Peter Robinson fait partie de ces auteurs anglais qui savent renouveler leur personnage récurrent. Son Inspecteur Banks a beau vieillir, dans son commissariat du Yorkshire, on a toujours plaisir à le retrouver, à prendre de ses nouvelles - où en est-il de sa vie sentimentale, comment va l'équipe, et la santé, ça va ? Et Robinson a le chic pour répondre à toutes ces questions-là en ne cédant pas à la facilité, en mettant en scène son héros dans des contextes très contemporains, tout en l'ancrant dans les paysages du Yorkshire qu'on finit par voir à travers ses yeux, et par connaître même si on ne les a jamais vus "en vrai". L'inspecteur Chef Alan Banks a d'ailleurs fait l'objet d'une série télévisée tout à fait regardable, DCI Banks,  dont Arte nous a distillé quelques épisodes, avec Stephen Tomkinpson dans le rôle titre.

Stephen Tomkinpson dans le rôle de DCI Banks dans la série du même nom


Moissons sanglantes donne à Peter Robinson l'occasion d'exprimer toute sa connaissance et son amour de la région du Yorkshire, dans tous ses aspects : des quartiers pauvres urbains aux "dales" et leurs paysages impressionnants, en passant par les villes côtières (Whitby, capitale du fish and chips...), et, en passant, d'évoquer la vie quotidienne de ce nord de l'Angleterre qui continue à souffrir  d'une situation économique difficile, surtout pour les plus défavorisés... Le terreau idéal pour les trafics en tous genres : machines agricoles, voitures, viande animale, abattoirs clandestins... 

Peter Robinson au festival de Harrogate en 2016
 Le roman commence au moment où Alan Banks rentre d'un week-end prolongé en Ombrie, passé auprès de sa compagne du moment, la charmante Oriana. Rentrer chez soi, se reposer, faire tourner une machine, ranger ses petites affaires, écouter un de ses disques d'opéra préférés ? Pas le genre d'Alan Banks...  Il n'a de cesse de se retrouver au commissariat, au milieu de son équipe. Parmi ses collègues les plus proches, l'inspecteur Annie Cabbot, qu'on soupçonne sous ses airs bourrus de nourrir un intérêt certain pour Alan Banks. Et puis la nouvelle recrue prometteuse d'origine jamaïcaine, Winsome, 1m80, intrépide, athlète et spéléologue accomplie. Doug Wilson, qui présente une ressemblance incongrue avec...Harry Potter. A la Criminelle, l'ambiance est morose : on n'a pas grand-chose à se mettre sous la dent. Un vol de tracteur... Pas n'importe quel tracteur, certes, mais quand même. Et puis la découverte d'une flaque de sang dans le hangar désaffecté d'un ancien aérodrome, repérée par un chien en balade avec son propriétaire, Terry Gilchrist, vétéran d'Irak et d'Afghanistan qui a rapporté du front une jambe abîmée et un moral en berne. Rien de bien excitant à première vue. Sauf que la flaque de sang provient d'un être humain. Ce qui convient beaucoup mieux à Alan Banks et son équipe. 

Premières neiges dans le Yorkshire (photo George Hodan)
C'est ainsi que démarre une enquête dans le plus pur style "procedural". Un terme qui fait souvent peur au lecteur, peu enthousiaste à l'idée d'avoir à supporter tous les détails d'une enquête minutieuse, voire fastidieuse. Pas de crainte : ce n'est pas le genre de Peter Robinson. S'il nous fait suivre l'enquête point par point, c'est en nous attachant aux pas des enquêteurs, avec leur personnalité, leur vie quotidienne comme à ceux des suspects. On passe ainsi d'un "gentleman farmer" qui a un passé plutôt sulfureux dans la finance à un jeune couple avec enfant qui essaie de s'en sortir le plus honnêtement possible dans un logement social sordide des quartiers pauvres. Entre deux étapes de l'enquête, on retrouve Alan Banks, vieux loup solitaire, installé chez lui devant un verre de vin, tout entier plongé dans l'écoute d'un disque de Janet Baker qu'il vient de recevoir. Et on est immergé dans l'ambiance de ces petites villes du nord où les gens n'ont même plus assez d'argent pour aller au pub, ce qui en dit long sur la situation économique et l'état de déprime de ces habitants, pris entre l'impossibilité de vivre, comme avant, de l'élevage et des produits de la terre, le chômage endémique et l'emprise des multinationales, de la finance et de l'immobilier. 



Comme à son habitude, Peter Robinson s'attaque dans cet épisode à une question de société : le trafic d'animaux et les conditions épouvantables dans lesquelles sont éliminées les bêtes qui se retrouveront, quelques jours plus tard, dans l'assiette de ceux qui ont encore les moyens d'acheter de la viande. De l'abattoir officiel à l'officine d'abattage clandestine nichée entre deux collines du Yorkshire, Robinson ne nous épargne rien des conditions cauchemardesques dans lesquelles meurent les bêtes et travaillent des hommes résignés à un labeur qui leur répugne mais qui leur permet de survivre. Après avoir lu les quelques pages que l'auteur consacre à ces lieux, le plus enragé des "viandards" pourrait bien devenir végétarien...

Une enquête rigoureuse, crédible, des personnages particulièrement travaillés pour lesquels le lecteur développe, très vite, un intérêt authentique, un sens du rythme et du suspense, un final particulièrement captivant : Moissons sanglantes est une réussite de plus à l'actif de Peter Robinson.

Peter Robinson, Moissons sanglantes, traduit de l'anglais par Pierre Reignier, Albin Michel

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