3 juin 2018

Cathi Unsworth, l'interview en roue libre 2018

Cathi Unsworth (le Goéland masqué 2018)
Retrouver Cathi Unsworth est toujours un plaisir, surtout dans le cadre du Goéland masqué. Nous étions nombreux à nous languir : depuis son formidable Zarbi, paru chez Rivages en 2014 (voir la chronique ici), pas de nouvelles sur le front de l'édition française. Le festival breton a été l'occasion pour son éditeur d'annoncer la publication de son roman Without the Moon au premier trimestre 2019. La bonne nouvelle ayant été annoncée dimanche matin, et l'interview ayant eu lieu samedi après-midi, j'ai dû faire quelques adaptations pour recentrer l'entretien sur l'ensemble des romans de Cathi Unsworth, car nous reviendrons l'année prochaine sur Without the Moon. Échange en toute liberté, comme d'habitude, avec une Cathi Unsworth en pleine forme, bourrée d'humour et d'énergie.

Est-ce que vous n'avez pas l'impression d'être en train d'écrire l'histoire souterraine de votre pays ? Avec ce qui est arrivé récemment, le Brexit, votre démarche prend un sens particulier. En fait, en y réfléchissant bien, j'en arrive à faire un parallèle avec ce qu'a fait James Ellroy avec une partie de l'histoire de son pays...
Je pense qu'effectivement, tous mes livres sont liés par cette idée. Vous savez, la dernière guerre civile qu'ait connue l'Angleterre a eu lieu en 1984, avec la grève des mineurs et Margaret Thatcher... Mes parents m'ont beaucoup parlé de cette époque et de celle qui l'a précédée, et cela m'a beaucoup marquée. Quant à James Ellroy, il fait bien sûr partie de mes auteurs cultes, je relis certains de ses romans régulièrement.

Quand j'ai lu votre dernier roman, That Old Black Magic il m'est venu à l'idée que depuis Zarbi, vos lecteurs ont pu penser que vous aviez changé votre orientation romanesque.
Je pense qu'il y avait un vrai lien entre Bad Penny Blues et Without the Moon. J'étais fascinée par la vie que menaient les femmes à Londres, toutes seules, pendant la guerre. Et aussi par la musique de l'époque.

Vous aviez l'image de quelqu'un qui écrivait sur le rock et le crime. Avec Without the Moon, les lecteurs ont dû percevoir un changement.
Oui. c'est certain. D'ailleurs, certains ne l'ont pas acheté (rires) ! Mais pour moi, il n'y a pas vraiment de rupture. Vous savez, les histoires de sorcellerie et de magie noire étaient très populaires en Angleterre dans les années 40 et après. Chez mes parents, il y en avait dans la bibliothèque. Quand j'étais petite, je les lisais dans mon lit en cachette. 

Dans
That Old Black Magic, il y a une multitude de personnages et une intrigue très sophistiquée. Vos créatures passent leur vie à se cacher derrière de terribles mystères...
Cela me fait plaisir que vous disiez cela, car c'est ce que je voulais faire. Et effectivement, j'ai tendance à multiplier les personnages, au grand désespoir de mon éditeur. J'ai envie que tous mes personnages soient présents en même temps...

Pour revenir à Zarbi, j'ai trouvé que vous faisiez preuve d'une sensibilité particulière envers l'héroïne, la tragédie de cette jeune fille et le secret qui se cache derrière les choses terribles qui lui arrivent.
En fait, le livre m'a d'abord été inspiré par un documentaire sur Maxine Carr (l'ex-compagne de Ian Kevin Huntley, meurtrier en 2002 de deux petites filles de 10 ans et condamné à la prison à vie. Maxine Carr s'était rendue complice des meurtres en fournissant un faux alibi à son compagnon.  Considérée à l'époque comme "la femme la plus haïe d'Angleterre", elle fut condamnée à trois ans et demi de prison, puis libérée. On lui fournit une nouvelle identité afin de la protéger de la vindicte populaire.) Cette femme a constitué un véritable objet de haine, alors qu'elle n'avait pas commis de crime... Et depuis, plusieurs femmes ont été harcelées et agressées car on pensait avoir retrouvé Maxine Carr. Une vraie chasse aux sorcières. Pendant la Deuxième guerre mondiale, dans la région où je suis née, on a assisté à quelque chose qui ressemblait à cela. Je pense que les deux événements se sont mêlés pour m'inspirer l'histoire de Zarbi

Dans votre dernier roman, on ne sait jamais qui sont vraiment les deux héroïnes. Sont-elles le mal incarné, sont-elles innocentes ?

Oui, je voulais conserver cette ambigüité. La première fois que j'ai perçu l'importance de cette ambiguïté, c'est probablement quand j'ai lu  L'Assassin qui est en moi, de Jim Thompson. Je refuse qu'on me fasse la morale, qu'on veuille me donner des leçons. Et finalement, c'est très politique, cette démarche. Pour en revenir à Zarbi, je me rappelle mon enfance, je vivais dans le Norfolk, et quand je regardais la mer, après les grèves de 1984... la première chose qu'on voyait, c'était les plateformes pétrolières... Le Norfolk ... "A good place to get away from"... A l'époque, des choses terribles arrivaient à de très jeunes personnes, et l'histoire de Corinne Woodrow est vraiment inspirée par des faits réels. La violence envers les jeunes filles et les femmes, c'est quelque chose de très important pour moi.

A ce propos, que pensez-vous de cette idée lancée récemment par une auteure anglaise de décerner un prix au roman policier dans lequel il n'y aurait pas de violence envers les femmes ?
Je peux comprendre l'idée, mais elle est indéfendable. Simplement parce que la violence envers les femmes existe, et qu'on ne peut pas la cacher. J'ai d'ailleurs du mal à comprendre pourquoi des journaux comme le Guardian ont relayé ce projet... Car c'est une démarche de contrainte, de censure. C'est comme si on disait à un auteur masculin qu'il n'a pas le droit d'écrire un roman sur une femme, c'est absurde. C'est une tendance très inquiétante... Etre écrivain devient de plus en plus difficile. Même à l'époque punk, être écrivain, c'était encore quelque chose. Aujourd'hui, pour les jeunes, la plus grande ambition c'est de devenir footballeur, ou une célébrité...
 
A propos de votre roman le plus récent, n'avez pas eu peur de choquer l'esprit rationnel de votre public en utilisant la sorcellerie, la magie noire ?
En fait, je ne fais que montrer comment on a traité les femmes comme des sorcières... Dans tous mes livres, il y a des élément surnaturels, mais aussi des explications rationnelles. Pour moi, ce dont est capable l'être humain est bien plus effrayant que toute la magie noire du monde... La sorcellerie, la magie noire sont des sujets fascinants, et même sexy !

Oui, raison de plus pour que le public puisse se sentir désorienté !

Les nazis sont sans doute la chose la plus effrayante qui soit arrivée à l'humanité ce dernier siècle. Et cela m'intéressait d'enquêter sur les choses étranges qu'on a faites pour essayer de les arrêter. Des gens comme Ian Fleming étaient impliqués dans des choses comme ça, on ne le sait pas forcément en France... Plus tard, dans les années 70, beaucoup de gens croyaient au surnaturel, aux OVNI, tout ça, et c'était lié aux questions d'espionnage.  On ne fait pas souvent le lien, mais on devrait, c'est très intéressant ! 

Vos projets ?
Beaucoup de choses très différentes. On m'a proposé d'être "ghost writer" pour un projet très intéressant. Mais j'ai aussi en tête une sorte de Bad Penny Blues 2, et d'autres choses encore. J'aimerais avoir trois cerveaux, en fait!

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