28 janvier 2021

Ian Rankin, "Le chant des ténèbres" : Rebus, 23e épisode

John Rebus déménage, au sens propre comme au sens figuré. Diminué par ses problèmes respiratoires, le voilà contraint à quitter son appartement d'Arden Street. Trop de marches... Qu'on se rassure, il ne va pas bien loin : au rez-de chaussée du même immeuble. C'est la fidèle Siobhan qui veille à ce que son déménagement se passe le mieux possible. Jusque-là, on pourrait craindre que John Rebus se soit, enfin, résigné à la retraite. Passer sa journée et sa nuit à lire et à écouter de la musique en compagnie du chien Brillo, il ne manquerait plus que la robe de chambre et les pantoufles. Mal parti pour un roman noir, non ? Rassurez-vous, Ian Rankin et son alter ego ont plus d'un tour dans leur sac. 

Ce matin-là, à cinq heures, John Rebus est réveillé par le téléphone. C'est sa fille, Samantha. On l'avait un peu oubliée, Samantha, vu que pour John Rebus, la famille est loin de passer avant tout... Mais l'heure est grave : Keith, le compagnon de Samantha et le père de leur fille Carrie, a disparu depuis deux jours. On a retrouvé sa voiture non loin de leur maison, il n'a rien emporté avec lui, aucune trace de mouvements sur son compte bancaire, ça sent mauvais. Rebus saute dans sa fidèle Saab, direction le nord de l'Ecosse,  dans la région de Tongue (Highlands de l'ouest). C'est Siobhan qui se chargera du chien Brillo. 

Tongue (Highlands) - Florian Fuchs, CC BY 3.0 <https://creativecommons.org/licenses/by/3.0>, via Wikimedia Commons

Le froid, le vent, la pluie, la beauté de la nature : un vrai paysage écossais comme on l'imagine. Non loin de là, le Camp 1033, un ancien camp de prisonniers de guerre, garde le souvenir de la Deuxième Guerre mondiale mais aussi d'un passé tourmenté chez certains habitants de la région. La route est longue, au moins 4 heures, et la Saab n'est pas très en forme. Les relations entre Rebus et sa fille ont toujours été particulières, sinon absentes. Il faut dire que John n'a rien d'un papa gâteau, et qu'il n'a pas l'habitude de mâcher ses mots. Mais là, il comprend très vite que la disparition de Keith n'est pas une fugue. Chassez le naturel... Qui va retrouver le corps du disparu, le crâne défoncé, dans le fameux Camp 1033 ? Et voilà : Rebus, venu pour raisons familiales, se retrouve très vite impliqué - officieusement - dans une enquête pour meurtre qui le touche d'un peu trop près... Il découvre vite que Keith se passionnait pour l'histoire du Camp 1033 et sa réhabilitation en tant que lieu de mémoire. Et bientôt, il se rend compte qu'entre Samantha et Keith, tout n'était pas rose. Sam avait même entretenu une liaison avec un type du coin, Jess Hawkins, membre d'une communauté installée tout près du camp. La situation est un sac de nœuds, et les gens du coin ne s'empressent pas d'aider John Rebus. Quant à la police locale, elle ne dissimule pas sa méfiance, voire son hostilité. Là comme ailleurs, les vieux secrets ont la peau dure...

Pendant ce temps, Siobhan et Malcolm, à Edimbourg, enquêtent sur l'assassinat d'un riche héritier saoudien venu s'encanailler dans un quartier louche. Ils marchent sur des œufs : il ne faudrait pas déclencher un incident diplomatique... Le jeune homme, étudiant à Edimbourg, fan de James Bond, partageait son temps entre Londres et la capitale écossaise, vivait dans un somptueux appartement et entretenait des relations avec des personnalités huppées, mais aussi avec des gens un peu "limite" - c'est un euphémisme. Cafferty, lui, profite de son appartement luxueux en plein cœur d'Edimbourg. Une retraite bien méritée pour le caïd de la ville ? Tout comme son adversaire historique, John Rebus, Cafferty n'est pas du genre à lâcher l'affaire. Il n'a pas l'intention de se ranger des voitures, bien au contraire : Rebus n'est plus là ; c'est Malcolm Fox qui va devenir sa cible préférée. Et Fox, toujours aussi bizarre, va se laisser entraîner dans une liaison dangereuse avec Cafferty : troquer des informations contre d'autres informations, voilà qui semble habituel dans la police. Sauf qu'avec Cafferty, le prix à payer est souvent lourd... Il va falloir jouer serré.

Champion des intrigues secondaires et des dialogues qui claquent, Ian Rankin ne trahit pas sa réputation. Le chant des ténèbres se déroule en deux lieux bien différents, les deux enquêtes principales, menées en parallèle, permettent à l'auteur de brosser un portrait peu optimiste de la situation politique et sociale de l'Écosse, John Rebus vieillit, vieillit, et à plusieurs reprises, on a peur pour lui car son investigation le met dans des situations peu enviables. Si le roman a été écrit bien avant la crise de la COVID, l'auteur l'a corrigé et révisé en plein confinement, ce qui explique probablement en partie les tonalités particulièrement sombres du roman et de son titre original, A Song for the Dark Times. Au passage, on remarquera que c'est Siobhan qui a concocté pour son ancien mentor une compilation qu'elle a baptisée "Songs for the Dark Times". 

Roman après roman, Rankin construit une oeuvre contemporaine qui va bien au-delà des enquêtes et des procédures auxquelles il confronte son héros : Rebus prend de plus en plus l'allure d'un double de son auteur, les autres personnages récurrents acquièrent eux aussi une vie qui leur est propre et qui, dans l'ensemble, n'a rien de bien réjouissant. Siobhan entretient une relation qu'on devine peu satisfaisante avec un collègue, Malcolm Fox affiche un profil de plus en plus ambigu et dévoile des aspérités de plus en plus inattendues. Lui aussi a une vie privée qui ne fait pas envie. L'incursion de Rebus "hors" la ville n'est probablement pas innocente non plus : elle donne à Rankin l'occasion d'élargir son propos et de sortir, un temps, de sa ville de prédilection. Pour conclure, vu ma réputation de fan absolue de Ian Rankin, vous ne me croirez probablement pas si je vous dis que Le Chant des Ténèbres est son meilleur roman de ces dix dernières années. Et là, vous aurez tort, assurément. 

Ian Rankin, Le Chant des ténèbres, traduit par Fabienne Gondrand, Le Masque

A lire pour en savoir plus, une bibliographie commentée de l'auteur

3 commentaires:

  1. Quelle chronique et quel blog , l'un des meilleurs existants pour moi , et quel auteur , j'ai ce dernier bouquin.

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    1. Merci beaucoup ! Vous l'aurez deviné, Ian Rankin est mon auteur fétiche...

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  2. bonjour
    je viens de finir la maison des mensonges et redécouvrir ian rankin abandonné malgré moi (trop d'auteurs)(et de la sf) j'y ai replongé avec envie, je devrai attendre le poche mais ouaah votre fan-critique me va bien
    jeanpierre frey de penmarch

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