10 octobre 2023

Bloody Scotland : le polar écossais n'a pas fini de nous surprendre

 Après quatre jours de rêve à Edinburgh, ma ville de cœur, il était temps de partir pour Stirling. Un court trajet en train a suffi pour nous amener à la capitale du crime (tout au moins pour ce week-end) et au festival Bloody Scotland. Tout commence le vendredi soir à la Old Church of the Holy Rude, église médiévale entièrement reconstruite au XVe siècle : c'est là que débute la soirée inaugurale du festival, avec la procession aux flambeaux.  Il fait un peu frais, il pleut par intermittence, mais ça n'a aucune importance pour les dizaines d'amateurs de polars qui, après s'être donné rendez-vous à l'église (oui, même les mécréants étaient là), s'acheminent vers l'esplanade du château de Stirling où ils se voient remettre un flambeau remarquablement résistant au vent et à la pluie. Tout ce beau monde, lecteurs et auteurs confondus, redescend ensuite vers le cœur de la ville et les Albert Halls. Nous nous sommes prêtées au jeu et, en me retournant, je me suis aperçue que juste derrière nous marchaient... Alan Parks et Liam McIlvanney. Aux Albert Halls, la foule était accueillie par un joueur de cornemuse aussi stoïque que solitaire et s'acheminait vers la  salle de réception où allaient être décernés le "debut prize" et le grand prix McIlvanney. Les deux vont d'ailleurs récompenser des premiers romans : le "debut prize" va à Kate Foster pour The Maiden et le McIlvanney Prize à Callum McSorley pour son roman Squeaky Clean.
Old Church of the Holy Rude, Stirling


Bloody Scotland, défilé aux flambeaux sous la pluie

Stirling Council from Stirling, UK, CC BY 2.0 <https://creativecommons.org/licenses/by/2.0>, via Wikimedia Commons


Bloody Scotland, joueur de cornemuse solitaire et stoïque


Juste avant la soirée, Mick Herron et Chris Brookmyre ont échangé autour de leur carrière d'écrivain. Mick Herron, dont la popularité de plus en plus grande s'assortit d'une adaptation télévisuelle de sa série de romans d'espionnage, Slough House, a raconté l'accélération soudaine de son succès après que ses premiers romans ont connu des difficultés à trouver leur public. Quant à Chris Brookmyre, il s'est lui aussi rappelé les périodes de "vache enragée" qu'il a connues au moment où il publiait la série des Parlabane, pourtant aujourd'hui devenue culte auprès de certains lecteurs. Il a aussi déclaré que son expérience d'écriture à quatre mains avec son épouse Marisa Haetzman pour la série qu'ils signent Ambrose Parry, en l'obligeant à travailler de façon plus planifiée, lui a permis de parvenir à une forme de structure et à une plus grande liberté.

Mick Herron et Chris Brookmyre


 La soirée se poursuivra par une rencontre au sommet : Val McDermid cuisinée par l'espiègle Abir Mukherjee. Ces deux-là, visiblement, se connaissent bien et jouent à fond le jeu du "perdreau de l'année" face à celle qui a bien vécu et qui SAIT les choses, pour le plus grand plaisir de l'assistance. Il sera question des deux derniers romans de Val McDermid, auteure de 39 romans et forte de plus de 20 millions de livres vendus à travers le monde. Peut-on l'appeler "Trésor national", s'interroge Abir Mukerjee. "Pas sûre", répond-elle... A paraître en octobre, Past Lying, la septième enquête de Karen Pirie dont les investigations font l'objet d'une série télé à succès. Karen Pirie y est confrontée à la disparition de l'étudiante Lara Hardie, et devra naviguer dans l'univers trouble... des auteurs de polars. Une bonne occasion pour Val McDermid d'évoquer ses chers confrères et l'étrange atmosphère qui règne, parfois, dans ces lieux où se rassemblent de drôles de personnes obsédées par le crime. Y compris la pratique du "bed hopping". Une évocation qui suscite une réaction immédiate d'Abir Mukherjee : "Comment, on ne m'aurait rien dit ?". Val McDermid constate que le milieu du roman policier, s'il a changé, surtout dans le domaine de la communication et du rapport avec les lecteurs, reste malgré tout un "habitat" plutôt bien fréquenté... 

Abir Mukherjee et Val McDermid

Le lendemain, rendez-vous avec Denise Mina et Karin Smirnoff. Les deux autrices partagent un point commun : toutes deux ont accepté de reprendre le flambeau d'un auteur célèbre... et mort. Denise Mina vient en effet de sortir une enquête de Philip Marlowe. Les héritiers de Raymond Chandler tenaient à ce que le défi soit relevé par une femme, et Denise Mina est une fan de toujours de l'auteur le plus européen des écrivains "hard boiled" américains. Denise a confié tout le plaisir qu'elle avait pris à se glisser dans la peau de Chandler, et considère que son travail, intitulé The Second murderer, est un véritable hommage à Raymond Chandler. Telle qu'on la connaît, on n'a aucun mal à lui faire confiance. Reste à espérer que le livre sera traduit en français. Quant à la Suédoise Karin Smirnoff, elle a cédé aux sirènes qui lui proposaient de reprendre la suite de la série Millenium de Stieg Larsson : elle aussi a accepté un défi aussi exaltant qu'effrayant, et a décidé de donner le premier rôle à Lisbeth Salander dans The Girl in the Eagle’s Talons. Elle y insiste également sur le côté féministe et les aspects écologiques, et déclare qu'en dotant Lisbeth d'une nièce de 13 ans dont elle va avoir la charge, elle a souhaité lui permettre de "grandir". Karin Smirnoff travaille déjà sur le deuxième volume de cette suite - il y en aura trois au minimum.

Karin Smirnoff et Denise Mina

Les romans noirs et les thrillers psychologiques tournent souvent autour du thème de la disparition. C'était également le sujet de la table ronde "Without a trace" qui réunissait Alan Parks, Gillian McAllister et Liz Mistry la bien nommée. Alan Parks, qu'on connaît bien en France, y évoquait son prochain roman To Die in June, où il est question de la disparition d'un jeune garçon dans le Glasgow des années 70 dont il s'est fait le portraitiste à l'œil acéré. L'action se déroule dans le milieu des sans-abris et il y est aussi question d'une série d'empoisonnements... Un livre dont la traduction devrait paraître au printemps prochain, et qu'on a hâte de découvrir.

Alan Parks

Vu la pluie battante, je me suis lâchement épargné le traditionnel match de football opposant auteurs anglais et écossais, et me suis contentée de l'annonce des résultats avec une victoire humiliante... des Écossais. Quant au programme de la soirée du samedi, il n'a pas été bien difficile à concocter : quand les Fun Loving Crime Writers sont là, ce serait péché de ne pas assister à leur concert, qui fait partie des moments forts de Bloody Scotland. Val McDermid (voix), Mark Billingham (voix et guitare), Luca Veste (basse), Douglas Johnstone (batterie), Chris Brookmyre (guitare et voix) et Stuart Neville (guitare) étaient particulièrement en forme et ont repris leur répertoire de morceaux liés aux thématiques du festival, crime, banditisme et meurtre ! De Blondie à Elvis Costello en passant par Talking Heads, Johnny Cash et... Tom Jones, ils nous ont offert une soirée festive, drôle, sans prétention, sans jamais sacrifier la qualité de la musique. Une mention spéciale pour Stuart Neville, dont le jeu de guitare en a épaté plus d'un !

Une soirée avec les Fun Lovin' Crime Writers, ça ne se rate pas.

Dimanche, dernier rendez-vous pour une conversation entre Liam McIlvanney et Craig Russell riche en réflexions sur le métier d'auteur. Craig Russell a évoqué l'incroyable popularité de ses romans en Allemagne, notant au passage une parenté entre la langue allemande et certains parlers de l'est de l'Écosse. Quant à Liam McIlvanney, il a expliqué qu'il avait eu la chance de grandir dans une famille où le métier d'auteur était considéré comme une véritable activité, et non pas comme un caprice de dilettante. Et nous a annoncé que son Quaker (paru chez Métailié) aurait une suite.

Craig Russell et Liam McIlvanney




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