9 avril 2025

Christophe Siébert, "Une Vie de saint" : naissance d'une mythologie

Bienvenue à Mertvecgorod, ses oligarques, ses politiques pourris, ses esclaves, sa pollution galopante, sa brume aussi sale que permanente. Comment expliquer l'attraction malade qu'exerce sur le lecteur ce lieu cauchemardesque dont Christophe Siébert écrit l'histoire depuis 8 romans maintenant ? En guérissant le mal par le mal, c'est-à-dire en lisant Une Vie de saint, sans doute une étape majeure dans cette aventure littéraire à nulle autre pareille. Car ici, nous assistons à la naissance d'une mythologie, celle qu'engendre Nikolaï le Svatoj, être protéiforme, doué d'autant de vies qu'un chat, mais aussi d'autant de morts, violentes de préférence. Le roman commence le 27 avril 2025 (c'est dans 15 jours…). A Mertvecgorod, c'est l'apocalypse : un drone porteur d'une bombe incroyablement destructrice s'abat sur l'échangeur géant et s'écrase sur la cathédrale qui se trouve en-dessous. Le tout situé dans un quartier particulièrement pourri de la ville-État. "La porte des Enfers, entourée d'un paysage d'astre mort" (…) "Avec huit mille morts, trente mille blessés et cinq mille disparus, cet attentat est le plus meurtrier de l'histoire du pays", nous dit-on. 

31 mars 2025

Ken Bruen, aussi immortel que son héros

Ken Bruen au Goéland Masqué en 2013

La nouvelle est tombée hier : Ken Bruen est parti. Il fait partie de ces auteurs que j'ai rencontrés tardivement, mais dont j'ai lu à peu près tout, histoire de rattraper un retard dont j'avais un peu honte. Depuis, il fait partie de ma vie, de ces auteurs dont on relit les romans, ou des passages, parce qu'ils appartiennent réellement à l'essence du roman noir, et sont la preuve, s'il en était encore besoin, que le style et la musique des mots, au-delà des intrigues et des enquêtes, habitent l'esprit des lecteurs au-delà de l'anecdotique, perdurant dans le temps, revenant à l'esprit au moment où on les attend le moins. Depuis plusieurs années, les romans de Ken Bruen n'étaient plus traduits en français, au grand dam de ses fans. Pas assez rentable… ou pas assez bien compris par ceux qui avaient la charge de porter ses livres vers leurs lecteurs, peut-être ? Quant à la série télé dérivée des enquêtes de Jack Taylor, les spectateurs français n'ont, à ma connaissance, jamais eu la chance de la voir.

Avec le temps, c'est vrai, les enquêtes de Jack Taylor ressemblaient de plus en plus à un chemin de croix. C'était justement leur nature même, depuis le début. Au fil des romans, Ken Bruen touchait à l'histoire passée et contemporaine de l'Irlande, à ce qui fait d'un homme (ou d'une femme) un Irlandais, avec ses contradictions, ses violences, ses excès, son mysticisme ou sa religiosité. Au fil des romans, Jack Taylor perdait progressivement ce qui lui était le plus cher. Aujourd'hui, Ken Bruen n'est plus. Ses éditeurs français lui rendront-ils hommage ? L'essentiel, c'est que ses lecteurs continuent à le faire vivre, à parler de lui avec tendresse. Car l'homme, en plus d'être un auteur remarquable, était aussi un homme délicieusement lucide, doté d'un solide sens de l'humour et d'un regard impitoyable sur le monde. Alors oui, nous autres lecteurs avons perdu un auteur précieux, et un homme rare.

Ken Bruen sur le Blog du polar

 

28 mars 2025

Valerio Varesi,"L'autre loi" : Parme, cette inconnue


Qui connaît mieux Parme que Franco Soneri ? Jusqu'à cette année, on était tenté de répondre : "Personne". Et puis voilà qu'arrive dans les librairies L'Autre loi, dixième enquête de Soneri à paraître en français (bon anniversaire!). Doute, réflexion jouent un rôle capital dans ce nouveau roman. Tout commence avec la mort d'un jeune Tunisien, Hamed Kalimi, hébergé par un vieil aveugle, Gilberto Forlai, en échange de menus services. Côté contexte, Parme est en proie à des  échauffourées dans le quartier chaud de San Leonardo, où les affaires de deal le disputent aux agressions racistes.

Hamed Kalimi a été tué à coups de batte de baseball dans l'appartement de Forlai, alors que ce dernier marchait sur les voies ferrées, où la police l'a récupéré, complètement perdu. Bientôt, Soneri sera perdu à son tour dans une affaire qui met en oeuvre des mécanismes qu'il ne connaît pas, une culture qui lui est étrangère. S'il n'est pas aveugle comme Forlai, il est au moins aussi perdu dans une ville qu'il ne reconnaît plus. Et cette brume, toujours... Et cette prise de conscience douloureuse : sa connaissance de Parme, sa longue culture de la ville et de ses secrets, ne lui est d'aucune utilité face à ce crime-là et à ceux qui vont suivre. Pas de repères, pas de suspect, pas de pistes - ou bien trop de pistes. La confusion règne dans la ville et dans la tête de Soneri, en cette période trouble où le populisme prend son envol, et où des milices privées prétendent rétablir l'ordre - comme chacun sait, ces initiatives-là cachent toujours quelque chose. 

18 février 2025

Ian Rankin, "Minuit à l'ombre" : la vingt-cinquième enquête


Voilà, Ian Rankin a osé… Sa 25e enquête, c'est de la prison que John Rebus la mènera. Dans le roman précédent, Un cimetière dans le cœur (voir chronique ici ), Ian Rankin avait expédié John Rebus au tribunal, au banc des accusés, soupçonné du meurtre de Big Ger Cafferty, et le livre se terminait par un grand point d'interrogation. Voilà la réponse : dans Minuit à l'ombre, Rebus est bel et bien enfermé à la prison de Saughton à Edimbourg depuis trois mois, son avocat a fait appel. Le plus étonnant, c'est que ça ne paraît pas l'avoir affecté tant que ça… Il est encore à l'isolement, mais la direction de la prison a l'intention de le réintégrer au reste de la population carcérale. Où il va retrouver bon nombre de ceux qu'il a contribué à faire mettre à l'ombre. Ca va lui changer les idées, ça va aussi le mettre en danger. Mais finalement John Rebus est étonnamment solide, malgré son grand âge et sa santé fragile. Et l'atmosphère de la prison semble plus angoissante pour le lecteur que pour lui ! Le voilà dans son élément : un environnement où sont concentrés tous les maux qu'il a passé sa vie à combattre, finalement. Dans sa petite cellule, il a à portée de main les livres qu'il s'est promis de lire, des photos de sa fille et de sa petite-fille, une télé et même un téléphone fixés au mur. Ne manque que la musique. Bien sûr, le téléphone n'est utilisable que sur réservation et après paiement, et les appels sont écoutés. Une version plutôt confortable de l'enfer, en quelque sorte. Mais ça ne va pas durer.

11 février 2025

Nicolas Le Flahec, "Jean-Patrick Manchette : Ecrire contre": un auteur phare, un angle fécond

 

Tous ceux qui s'intéressent au polar et au roman noir le savent bien : il est difficile d'aborder le sujet sans qu'à un moment ou un autre le nom de Jean-Patrick Manchette jaillisse et déclenche des discussions aussi infinies qu'animées. Plus que celui de Simenon, par exemple. Pourquoi ? Les raisons sont multiples, elles sont bonnes ou mauvaises, de bonne foi ou de mauvaise foi. Le nom de Manchette semble porter en lui toutes les questions que les romanciers du genre et leurs lecteurs se posent, se sont posées ou se poseront. Le problème étant que, trop souvent, les réponses empruntent des raccourcis qui faussent l'itinéraire et aboutissent à davantage de questions encore. La somme que l'universitaire Nicolas Le Flahec consacre à Manchette est une étape décisive dans la connaissance en profondeur du travail de Manchette, mais aussi de sa pensée. Et l'angle qu'il a choisi ("Contre") lui permet d'en explorer les multiples facettes, en passant par ses contradictions, ses doutes et les chemins qu'il emprunte, parfois inattendus.

16 janvier 2025

Séverine Chevalier, "Théorie de la disparition" : l’histoire de la femme invisible

 

Démarrer l’année avec Séverine Chevalier, c’est un peu un luxe… Chacun de ses romans est une nouvelle exploration, qui va chercher en nous ce qui est bien enfoui, noir, gris ou blanc. Avec Théorie de la disparition, la lecture est encore une fois l’occasion de retrouver des souvenirs, des sentiments, des situations plus ou moins familières. Le personnage principal, qui est également la narratrice, s’appelle Mylène. Et elle écrit à la première personne.

Qui est Mylène ? Justement, toute la question est là. Mylène est l’épouse de Mallaury. Tout de suite, pour identifier Mylène, c’est par Mallaury qu’on va passer. L’homme est écrivain, il lui arrive de remporter des prix, d’écrire des séries qui rapportent, et aussi d’être invité à des salons littéraires et à des résidences d'écrivain aux quatre coins du pays. Dans ces cas-là, Mylène est l’intendante. C’est elle qui emporte toujours un fer à repasser, pour que ses chemises bleues à lui soient toujours impeccables.

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