Alain Claret publie pour la première fois à la Manufacture de livres, mais depuis 1991, il consacre sa vie à l'écriture - romans, scénarios, théâtre, etc. Avec Un pays obscur, il va sans aucun doute conquérir un lectorat qui ne le connaît pas encore, tout en séduisant ceux qui le connaissent bien et qui attendent de lui une littérature noire, ciselée et en prise avec le monde contemporain. En 2012, avec Eden, il imaginait ainsi le débarquement à Paris des narco-trafiquants mexicains. En 2015, c'est le monde de la politique et de la grande muette qu'il étrillait avec Une étude en noir.
Un pays obscur ne fait pas exception : le héros du roman, Thomas, est un journaliste de guerre tout juste revenu de Libye où il a été retenu prisonnier dans des conditions particulièrement dures. Le retour à Paris est difficile, Thomas décide d'aller habiter la maison que son père, décédé, avait achetée, tout près de Vinteuil - ville imaginaire dont le nom évoque Proust et la fameuse Sonate de Vinteuil. La maison du musicien Vinteuil, dans l’œuvre proustienne, était située non loin d'Illiers-Combray, près de Chartres. De là à imaginer la demeure du père de Thomas dans cette même région, il n'y a pas loin, mais résistons à la tentation, laissons donc Vinteuil à son mystère.
Au fil des pages, le narrateur nous entraîne dans des incursions éclair dans le passé de Thomas. Sa vie en Libye en compagnie de Tom, reporter photographe écossais à la sulfureuse réputation qui, lui, laissera sa peau en Libye, son existence avant la Libye avec Hannah, l'évanescente et mystérieuse maîtresse qui lui rend visite à son appartement de la Butte Montmartre avant de disparaître de sa vie. Son enfance chaotique, entre une mère partie s'installer avec lui dans le sud après son divorce et un père universitaire, professeur à la Sorbonne.
Au fil des jours, le récit de la vie Thomas va osciller entre passé et présent, fiction et réalité, rêve éveillé et réalité brutale. Entre l'horreur de la guerre libyenne, le lynchage de Khadafi et la disparition de jeunes filles dans la région où Thomas s'est installé, notre héros solitaire vit sa vie peuplée de fantômes, ceux des disparus et celui de Tom Ripley, devenu résident permanent de la maison de la forêt. Tom le reporter, lui aussi, s'invite à la fête et, entre les deux Tom, Thomas va essayer de se frayer un chemin vers une étrange vérité, déambulant, maladroit, et voyageant du réel au rêvé en passant par la mémoire... Il va retrouver Hannah, l'aimer à nouveau, l'aider à chercher sa fille disparue. Rencontrer le bûcheron, qui en sait beaucoup trop sur son père, sa drôle de vie, ses amours et ses étranges soirées. Arpenter la forêt, tomber sur une mare maléfique, manquer mourir, s'embourber de fausse piste en fausse piste... Jusqu'à une fin à la fois confondante et inéluctable.
photo domaine public pxhere |
Alain Claret écrit merveilleusement bien : son phrasé, ses mots, sa précision, le rythme et la structure complexe du récit nous entraînent dans une lecture qu'on a d'autant plus de mal à interrompre qu'il s'exerce une sorte de fascination, de séduction vénéneuse. De l'immonde violence de la guerre en Libye aux secrets que recèlent la petite maison et la forêt voisine, Alain Claret sait alterner l'acuité, l'âpreté et la rapidité avec des descriptions amples, poétiques et des scènes fortes, de l'horreur pure et des ambiances gothiques, voire des images bibliques. C'est dire que le lecteur passe par des états et des sensations contrastés, tout au long d'un récit qui invoque la mémoire, la folie, l'amour et la cruauté. Et puis, que voulez-vous, un homme qui convoque à ses côtés à la fois Tom Ripley et l'enquêteur écossais John Rebus, comment résister...
Alain Claret, Un pays obscur, La Manufacture de livres
Alain Claret, Un pays obscur, La Manufacture de livres
Très alléchant … J'aime beaucoup les romans qui négocient les passages d'une réalité à une autre. Merci pour cette recension
RépondreSupprimer