22 avril 2019

Arnaldur Indridason, "Ce que savait la nuit" : un nouvel enquêteur, une plongée dans le passé

Konrad, tel est le nom du nouvel enquêteur que nous présente Arnaldur Indridason. Côté localisation, nous ne quittons pas Reykjavik. Konrad, policier à la retraite, veuf de fraîche date, s'efforce de se faire à sa nouvelle vie et à vrai dire, la réussite n'est pas au rendez-vous... Le deuil, l'ennui, la nostalgie, la vie en banlieue alors qu'il aime le centre ville, les insomnies, les perspectives peu réjouissantes d'un avenir solitaire et vide, si vide, font de lui un être tourmenté, mélancolique... Le vin, les cigarillos, les tubes des années 60 et 70, la famille - il a une sœur, la bibliothécaire Elisabet, et un fils lui-même père de jumeaux - tout cela ne l'aide pas à reprendre du poil de la bête. Le temps a beau passer, Konrad ne parvient pas à oublier son escroc de père, dont le meurtre, en 1963,  n'a jamais été élucidé.

Et la découverte par un groupe de touristes allemands du corps d'un homme surgi du glacier de Langjökull, réchauffement climatique oblige, fait resurgir une vieille affaire qu'il n'avait jamais réussi à résoudre. On vient de retrouver Sigurvin, mystérieusement disparu 30 ans auparavant. Le corps est exceptionnellement bien conservé par la glace, Sigurvin a toujours l'air d'un jeune homme. Mort, mais jeune... La police de Reykjavik, en la personne que son ex-collègue Svanhildur, demande à Konrad de les aider, dans le cadre d'une mission temporaire. Il se fait prier : difficile, une fois qu'on s'est péniblement fait à l'idée de la retraite, de reprendre le collier, surtout sur cette affaire-là, que Konrad avait ressentie comme un échec obsédant. Il finit par céder.

Arnaldur Indridason - photo (c) Mordzinski

Le voilà donc reparti à la recherche de la vérité : reprendre le rythme, remobiliser une énergie endormie, la mission n'est pas si simple. Nous sommes au mois de septembre, les jours sont encore longs. Et Hjaltalin, le suspect n°1 dans l'affaire de la disparition de Sigurvin, condamné pour son assassinat, est toujours vivant, en prison, gravement malade. Au moment où Konrad lui rend visite, il sort d'une séance de chimio particulièrement pénible : dans son état, il ne devrait plus être en cellule... D'autant qu'il persiste à clamer son innocence, et qu'il compte sur Konrad pour le blanchir avant sa mort... Trop tard, quinze jours après la visite de Konrad, Hjaltalin meurt. 

Nous voilà donc partis pour suivre l'enquête de Konrad, et en même temps à la découverte de ce nouveau personnage, à la fois proche parent d'Erlendur et bien différent. Habilement, Indridason a choisi pour ce premier volume de situer la partie criminelle de l'action trente ans auparavant : cela lui permet à la fois de faire une description mélancolique et nostalgique de ce qu'est devenue la capitale de l'Islande, et de nous donner quelques indices déterminants sur l'identité de Konrad, son passé tourmenté, son présent solitaire. 

L'enquête qu'il mène pour élucider le meurtre de Sigurvin va le conduire à reprendre contact avec tous les témoins survivants, à interroger les météorologues pour savoir le temps qu'il faisait le jour de la disparition de Sigurvin, et du même coup à revivre ces années-là, et aussi les années de bonheur auprès d'Erna. Jusqu'à ce jour où il l'a emmenée observer l'éclipse de Lune, au cap de Seltjarnarnes. Erna était très faible, mais avait voulu faire cette promenade, malgré le froid et l'inconfort. Elle avait même voulu sortir de la jeep pour regarder l'éclipse. Et au retour, elle était morte. "C'était le jour le plus court de l'année, mais Konrad n'en avait jamais connu d'aussi long. Il ne durait que quatre heures et douze minutes. Pourtant, il était l'éternité."  

Ce que savait la nuit est un roman double : une enquête complexe, des personnages nombreux, une intrigue difficile à démêler; un roman mélancolique, poétique, poignant. Un texte qui pose les premiers points de repère d'un nouveau héros / anti-héros qui n'a pas fini de dévoiler ses secrets, et où la traduction d'Eric Boury, une fois de plus, sait admirablement faire la part de l'intrigue et de la sensibilité.

Arnaldur Indridason, Ce que savait la nuit, traduit de l'islandais par Eric Boury, Métailié noir

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