Depuis plusieurs années, Paul Cleave nous alimente régulièrement en romans cruels, sauvages, tour à tour totalement imprégnés d’un humour ravageur et profondément empreints de noirceur et de violence débridée. Cauchemar relève indubitablement de la deuxième catégorie : en dépit de la date de ce billet, n’y cherchez aucun esprit de Noël, et préparez-vous à une plongée sans paliers vers des profondeurs abyssales… Une nouveauté : cette fois, nous quittons la Nouvelle-Zélande et Christchurch, en partance pour les Etats-Unis.
Noah est shériff adjoint dans une petite ville, Acacia Pine, quelque part au fin fond des Etats-Unis. Une scierie, une forêt de pins, des chemins de randonnée appréciés par les « backpackers » de tout le pays : l’Amérique profonde, tranquille, sans histoires… Sauf que le roman s’ouvre par une scène où Noah et son collègue Drew infligent un interrogatoire musclé à un suspect, Conrad, dans le cadre de la disparition de la petite Alyssa, sept ans. Pour Noah, aucun doute n’est possible : Conrad sait où se trouve la petite. Tous les indices l’accusent…
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Et pour la retrouver, tous les moyens sont bons, y compris les dérapages incontrôlés. Le dénommé Conrad écopera donc d’un passage à tabac en règle, assorti d’une balle dans la jambe… Drew a beau essayer de freiner les ardeurs de Noah, rien à faire. Noah est dans un état second, son imagination tourne à toute vitesse, il ne peut pas supporter l’idée de ce qu’est en train de subir Alyssa. Et puis, enfin, Conrad se décide à nommer le lieu où la petite est gardée prisonnière. La vieille ferme des Kelly, un lieu abandonné en lisière de forêt. Lorsque Noah arrive sur les lieux, Alyssa est là, tremblante, enchaînée au mur. Sauvée.
Douze ans plus tard, Noah est co-propriétaire d’un bar dans une grande ville, loin d’Acacia Pine. Après l’affaire Alyssa, il a dû fuir: le dénommé Conrad était le fils du sheriff… Et si Alyssa a été sauvée, l’affaire n’a pas été élucidée pour autant. Fuir un village où tous le considéraient comme un barbare, fuir pour éviter la prison, divorcer de sa femme Maggie, partir, s’installer en ville… Noah vit seul avec son chat à trois pattes, une vie monotone, sans histoires. Jusqu’au coup de téléphone de Maggie, dont Noah n’a pas entendu la voix depuis douze ans. Alyssa a disparu.
De ce jour-là, la vie de Noah va basculer à nouveau dans le chaos. Pourquoi cet homme qui a changé de vie, de ville, de métier, va-t-il tout laisser tomber pour prendre le premier vol à destination de l’aéroport le plus proche d’Acacia Pine ? Pour Alyssa ? Pour Maggie ? Parce que l’histoire d’il y a douze ans n’a pas vraiment trouvé son dénouement ? Parce que sa vie l’ennuie ? Un peu de tout cela, sans doute. Noah retourne donc à Acacia Pine, vers son cauchemar. Les quelques jours qui suivent, et qui constituent le cœur du roman, ne vont pas lui laisser un instant de répit. Même chose pour le lecteur qui l’accompagne, car une fois arrivé à ce point, il n’est plus question de lâcher le roman, vous voilà prévenus. Noah ne sait pas encore dans quel enfer il a choisi d’entrer, tête baissée.
Et Paul Cleave s’en donne à cœur joie : il plonge son malheureux héros dans les situations les plus tordues, le confronte aux habitants de son passé qui ne sont plus ni ce qu’ils étaient ni ce qu’ils paraissent être, le livre aux violences les plus effrayantes, l’expose à mille morts, de la simple balle de revolver à la noyade, enfermé dans une voiture plongée dans un lac. Paul Cleave impressionne par sa précision : là où d’autres se perdent dans des détails qui nous confondent plus qu’ils ne nous renseignent, lui sait décrire les situations, les mouvements, les réactions du corps avec une telle maîtrise du rythme et de la précision des mots qu’on vit littéralement ce qu’est en train de subir Noah, et qu’on finit par être presque convaincu face à certaines invraisemblances… Un Noah pratiquement aussi dur au mal que le Harry Hole de Jo Nesbo, un Noah qui va trouver sa place auprès d’un Jack Reacher, version survitaminée !
Autant dire que cette histoire, sur fond de trafic d’organes et de violence faite aux femmes, place Paul Cleave dans une nouvelle catégorie : celle des auteurs de romans d’action. A la fin du roman, le lecteur est plus épuisé que le héros… Et Paul Cleave place en conclusion une de ses petites bombes ambiguës dont il a le secret, et qui nous laisse à penser que nous n’en n’avons pas terminé avec Noah Harper.
Paul Cleave, Cauchemar, traduit par Fabrice Pointeau, Sonatine
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