Joëlle Losfeld et Richard Morgiève répondent aux questions de l'animatrice du Goéland masqué |
Le Goéland masqué, la mort dans l'âme, a dû se résoudre à renoncer à l'édition 2020 de son festival, pour cause de crise sanitaire. Mais l'oiseau a de la ressource, et les membres de l'association de Penmarc'h aussi : cet automne, c'est sous la forme de quatre journées baptisées"Retours de marée" que le Goéland a décidé de fêter ses 20 ans. Hier, le deuxième "Retour de marée" réunissait un public nombreux, dans le respect strict des gestes barrières, autour de Marie Lenne-Fouquet, auteur jeunesse, puis de Caryl Ferey et Morgan Audic, et enfin de Richard Morgiève et Joëlle Losfeld, venus parler de l'étrange couple auteur-éditeur. Les deux invités ont répondu aux questions de l'animatrice et échangé avec humour et passion autour d'un sujet éternel... Après un rappel biographique sur les deux protagonistes, la conversation s'est lancée sur le cœur du sujet. Morceaux choisis.
JL : La rencontre avec Richard Morgiève ? C'était une histoire à quatre. Celui qui allait devenir mon mari m'avait recommandé de lire Un petit homme de dos de Richard Morgiève. Rien n'aurait pu m'en dissuader : et j'ai été émerveillée par ce livre. Ensuite, je rencontre une jeune femme qui souhaitait intégrer une maison d'édition. On se voit quelque temps après, nous parlons, et nous évoquons la situation des auteurs qui n'est pas toujours très drôle. Elle cite le cas de son mari qui est aussi auteur, mais qui travaille également dans le cinéma comme scénariste, comme acteur. Le mari de cette jeune femme s'appelait Richard Morgiève. J'ai connu un coup de foudre pour ce texte porté par un auteur extraordinaire, qui sortait de la marge tout en racontant une histoire familiale. Lisez Un petit homme de dos, c'est remarquable, c'est hors normes. C'est l'histoire d'amour d'un fils avec des parents très particuliers. Notre rencontre, elle est faite de cette histoire-là, qui me lie à jamais à Richard Morgiève. (...) Il y a des livres de Richard que je n'ai pas aimés, et je le lui ai dit, je n'ai pas pu faire autrement. Peut-être était-ce une maladresse, je ne sais pas. J'ai donc laissé partir Richard à ce moment-là, pour ces projets pour lesquels je ne sentais pas d'enthousiasme. Mais j'ai continué à le publier, indéfectiblement.
LGM : Vous avez dit que vous partiez à la recherche de textes, comme une aventurière.
JL : Je ne suis pas Harrison Ford... Ce que j'aime, c'est effectivement chercher, fouiller, aller d'un auteur à un autre, comprendre pourquoi cet auteur que j'aime a aimé tel auteur, et pourquoi je pourrais l'aimer à mon tour. La recherche de filiation, de parenté : c'est cela qui m'intéresse.
LGM : Il y a une prise de risque dans le fait de devenir éditrice.
JL : Oui, mais il y a du risque partout. L'économie d'une maison d'édition, elle ne se fait pas comme celle d'une épicerie. Cela part d'une décision, d'un choix d'un livre dont on pense que l'aventure va être formidable. Parfois, on se met le doigt dans l’œil, mais ça fait partie du jeu.
LGM : Au bout de trente ans d'expérience en tant qu'éditrice, comment définiriez-vous votre activité ?
JL : J'aime bien la littérature qui va dans les marges, donc je privilégie des auteurs qui ne racontent pas leur vie de façon linéaire, mais qui construisent une fiction, même si c'est à partir de leur vie. Et puis j'aime que les auteurs apprécient de se retrouver les uns à côté des autres dans mon catalogue. Je suis une éditrice de fiction, et j'essaye de trouver des voix un peu différentes.
LGM : Richard Morgiève, votre enfance a été marquée par le décès de vos parents. Vous avez exercé beaucoup de métiers, et vous avez commencé votre carrière d'écrivain en publiant des romans policiers, genre que vous avez laissé derrière vous, vous nous expliquerez peut-être pourquoi. Avec votre dernier roman paru, Le Cherokee, paru chez Joëlle Losfeld en 2019, vous renouez avec le roman noir.
RM : Je pense que les auteurs ont une raison d'écrire. J'ai eu très jeune le besoin d'écrire : j'écrivais dès mes 12-13 ans. J'avais une envie de lire pour vivre, j'ai eu envie d'écrire pour vivre. Ce que lisait mon père, c'étaient des romans policiers. J'ai donc commencé par des romans policiers. J'ai quitté ce milieu parce qu'il était très fermé, très angoissant. Je suis parti vers une littérature générale pour être libre. C'est une voie que j'ai choisie : ne pas publier délibérément dans un genre, rester libre.
Et quand j'ai commencé à être vieux - chassez le naturel, il revient au galop - je me suis mis à écrire un livre qui ressemblait finalement vraiment à un roman noir.
(...) On peut lire Le Cherokee de multiples façons. On peut raconter l'intrigue, les personnages, le décor, les paysages. Mais on peut aussi le décrire autrement. J'ai découvert à mes soixante ans que je n'étais devenu français qu'à l'âge de 4 ans. J'ai été un peu déstabilisé par cela. Un de mes oncles, qui s'appelait Richard Morgevitch, tout comme je m'appelle Richard Morgevitch, avait disparu dans des circonstances dramatiques. Je me suis dit "Ce type-là, il est peut-être parti aux Etats-Unis". Donc je me suis senti légitime à écrire de là-bas... Pourquoi ce livre et pas un autre ? Y a-t-il une nécessité à écrire Le Cherokee? Au départ, non, bien sûr. Un jour, j'ai vu un avion de chasse atterrir. Ça m'intéressait beaucoup, j'ai donc commencé à écrire un livre. Puis j'ai jeté le livre, car un avion de chasse qui atterrit, ça ne suffit pas à faire un livre. Le temps a passé, j'ai recommencé à écrire, toujours fasciné par cet avion qui atterrit. Y a-t-il un pilote ? J'ai décidé qu'il n'y en avait pas. J'ai recommencé à écrire le livre, puis je l'ai jeté, car il n'y avait toujours pas de livre. Plus tard, j'ai vu la voiture. Quand j'écris, j'essaie de trouver des leurres : comment va-t-on faire lire un livre à quelqu'un, le torturer ? Si on a un avion sans pilote et une voiture, on n'a pas d'histoire - peut-être une nouvelle très courte. Donc la démarche est la suivante : qui est le héros qui va nous raconter l'histoire ? On a l'avion, la voiture et celui qui raconte l'histoire. Pour que le lecteur persiste à lire, il faut une raison puissante. J'ai emprunté à Jim Thompson le personnage de Nick Corey - on a donc un sheriff... J'ai commencé à écrire le livre, très naïvement. Plus je travaillais, plus j'était près de vous comme je le suis maintenant : un jour, j'ai compris que mon personnage n'était pas tel que je l'avais imaginé au départ. J'ai donc réécrit le livre pour que ce soit Nick Corey qui voie atterrir l'avion. Il fallait que l'histoire de l'avion et celle de la voiture soient deux histoires puissantes. Ce qui me pousse à écrire, c'est de pouvoir parler de beauté, entrer en relation avec les gens par la beauté. Voilà, mes amis ! Mais si ce n'était que cela, ne l'achetez pas, ce serait chiant... Il faut que le lecteur puisse être lui-même acteur de la beauté.
J'essaie de faire des livres qui soient drôles par leur incongruité. Par exemple, Monsieur là-bas est un homme normal. Et près de lui, il y a un singe. Ce type parle au singe, le singe lui répond et lui offre une cigarette : mon job, c'est de faire en sorte que tout ça paraisse normal...
Pour revenir aux relations entre auteur et éditeur et à ce moment où Joëlle a décidé de ne pas publier un de mes livres, je voudrais dire qu'elle a eu raison. D'autres éditeurs continuent à publier des romans de certains auteurs, en s'en foutant. Elle, non. Et je lui en suis reconnaissant. Nous sommes un couple qui fonctionne bien, il n'y aura pas de scène de ménage ici !
JL : Richard est très impliqué dans l'édition de ses livres. Pour son prochain roman qui sortira en janvier, et qui s'appelle Cimetière d'étoiles, je l'ai lu, on a discuté, mais pas tellement parce qu'avec Richard il y a une telle précision, un tel travail de juxtaposition des mots qu'il n'y a pas grand-chose à dire ! Je lui ai juste dit que j'adorais ce livre, qui présente une vraie parenté avec Le Cherokee. Avec Richard, nous travaillons très bien ensemble, et la personne qui s'occupe des couvertures chez Gallimard fait un très beau travail. Là, on nous en a proposé quatre et nous sommes tombés d'accord sans même avoir besoin d'en parler. Quant à la quatrième de couverture, Richard m'a tiré une épine du pied puisqu'il l'a écrite...
Le prochain "Retour de marée" aura lieu le samedi 31 octobre et sera consacré à des lectures par des comédiens. Le 21 novembre, le quatrième et dernier "Retour de marée" sera consacré à la BD : dédicaces, rencontres et speed-dating ! Vous trouverez le programme détaillé de ces deux journées sur le site du Goéland masqué .
bonjour
RépondreSupprimerj'étais présent à cette rencontre ce samedi à Penmarc'h
sympa de retrouver un écrivain qui revient au genre longtemps après ses années Sanguine
y aura t-il compte rendu concernant audic et ferey
peut etre pourrai je vous saluer à une prochaine réunion j'habite penmarc'h et je suis un lecteur régulier de votre blog j'y suis abonné
jean pierre frey 818(membre 813)