3 novembre 2024

Benjamin Myers, "Le prêtre et le braconnier" : une parabole vénéneuse

 


Benjamin Myers connaît auprès du public français un parcours aussi original que sa personnalité, parcours qui favorise peu la découverte de ses livres profondément originaux, salement noirs, profondément ancrés dans cette région du nord de l'Angleterre qui nous a déjà donné bien des auteurs dans le domaine qui nous est cher, le Yorkshire. Avec Ben Myers, on n'est pas dans le Yorkshire urbain, désolé, post-industriel ravagé par la pauvreté. Avec Ben Myers, on est plongé au cœur de la campagne du nord, de ses paysages hostiles, de son climat rude, et de sa beauté noire. On lui doit déjà Dégradation et Noir comme le jour (voir ici et ici ), mais aussi Au large, un beau roman d'apprentissage, qui a remporté un grand succès au Royaume-Uni et en Allemagne et est curieusement passé "sous les radars" en France. 

27 octobre 2024

David Peace, Patient X - Le dossier Ryunosuke Akutagawa

 


Avertissement au lecteur puriste : ce livre n'est pas un roman noir. Sauf à le considérer comme une enquête de David Peace sur l'auteur japonais, et à travers elle une mise à nu de l'auteur David Peace lui-même. C'est une option tentante, mais qui ne rend pas entièrement compte de ce que Patient X donne à son lecteur. Ryūnosuke Akutagawa est né en 1892 et s'est donné la mort en 1927. Il a consacré sa courte vie à un amour sans limites pour la littérature, dont il s'est attaché à connaître les multiples facettes, s'intéressant aussi bien aux contes japonais et chinois qu'à la littérature occidentale. Dans nos régions, on le connaît surtout à cause du film de Akira Kurosawa, Rashomon, qui est en réalité largement inspiré par une autre nouvelle de Akutagawa, Dans le fourré, publiée en 1922. La confusion étant due au fait que les deux contes (Rashomon et Dans le fourré) se déroulent tous deux au même lieu, près de la porte Rasho qui ouvre l'accès sud à la ville de Kyoto. Alors, avec Patient X,  est-ce une biographie que nous avons entre les mains ? Un hommage ? Tout cela à la fois, sans doute, et aussi, peut-être, une introspection. 

11 septembre 2024

Jurica Pavičić, "Mater Dolorosa" : L'amour (maternel) à mort


Après L'eau rouge et La femme du deuxième étage, voici le troisième roman traduit en français du Croate Jurica Pavičić, qui, en trois ans, a remporté de nombreux prix et réussi à conquérir un public français fidèle et fervent (voir ici). On n'oubliera pas son recueil de nouvelles Le collectionneur de serpents, où il faisait un portrait saisissant de son pays et son histoire tourmentée. Avec Mater Dolorosa, il démontre une fois encore qu'il mérite largement le qualificatif de romancier féministe - qu'il accepte d'ailleurs volontiers. Dans tous ses romans, Jurica Pavičić travaille en virtuose à un équilibre entre histoire personnelle et histoire politique et sociale. Avec Mater Dolorosa, il a peut-être réussi à atteindre une forme de perfection en la matière. 


5 septembre 2024

Keigo Higashino, "La Maison où je suis mort autrefois": obsessions, identité et mémoire incertaine


Ce roman n'est pas une nouveauté, mais autant l'avouer, je me suis prise d'affection pour Keigo Higashino, et certains de ses romans se glisseront subrepticement au fil de ces chroniques, au rythme de mon exploration. La Maison où je suis mort autrefois n'est pas un polar au sens où on n'y retrouvera pas, contrairement aux deux précédents romans évoqués ici (voir ici) des enquêteurs de police à la recherche de la vérité. Dans ce roman, il est beaucoup question de mémoire, d'identité mais aussi de mensonges. Tout le contraire de la "vérité", donc. Et s'il y a une enquête, elle ne ressemble guère à une investigation policière mais bien plutôt à une recherche de soi. 

4 septembre 2024

Stéphane Grangier, "Tour mort" : cavale fatale entre Rennes et Belle-Ile

Stéphane Grangier nous a habitués dans ses précédents romans (Hollywood Plomodiern et Fioul, tous deux parus chez Goater noir) à des histoires de paumés, de dérives plus ou moins dangereuses, de violences personnelles ou quasiment institutionnelles. C'est un peu sa marque de fabrique : avec Tour mort, il nous embarque aux basques d'un trio masculin qui voudrait bien s'affranchir de la prison à laquelle sa condition sociale le condamne. Et si on braquait une banque ? Carrément. Le trio en question est constitué de trois hommes : Christian, dit DJBadChristi, le chef de la bande, celui qui pense, son vieux copain Yves, un rageux au sang chaud, et puis le jeune Ahmed, pas bavard, qui se cherche un mentor et croit le trouver alternativement chez l'un et chez l'autre. Pas des professionnels du braquage, loin de là… 

21 août 2024

Frédéric Paulin, "Nul ennemi comme un frère" : le Liban, paradis perdu ?


Entre 1975 et 1977, j'habitais une petite rue entre Opéra et Madeleine. Des professionnelles de la profession y exerçaient leur métier à bord de leur Austin Mini, toute blondeur dehors. Il n'y avait pas encore de sex shop. En revanche, en face de chez moi, il y avait un bar où il nous arrivait d'aller prendre un verre le soir. Dorures, velours écarlate, marbre et stuc : une ambiance de cocon kitsch. Dans ce bar, il n'y avait - en-dehors de nous, les voisins jeunes et inconscients - que des hommes et quelques femmes qui arrivaient du Liban (chrétiens libanais ou français expatriés). Une atmosphère à la Modiano, des conversations sur le ton de la conspiration, beaucoup de mélancolie et de colère, parfois du désespoir, comme si ces êtres-là pleuraient leur paradis perdu. Peut-être y ai-je croisé un des personnages de Frédéric Paulin - Michel Nada, chrétien du Liban qui a choisi l'exil à Paris - ou le conseiller politique Philippe Kellermann, qui a grandi au Liban et travaille à l'ambassade. Ou des hommes qui leur ressemblaient, car bien sûr, ces personnages-là sont fictifs. A l'époque, ça n'est rien de le dire, les Français ne comprenaient rien aux "événements" du Liban. Et ne cherchaient pas à comprendre : trop complexe, trop douloureux… 

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