11 septembre 2011

Marcus Malte, "Les Harmoniques", un polar qui s'envole

Les Harmoniques est placé sous le signe de la musique. Dès la couverture, la photo d'un microsillon, jaune et noire comme il sied à la Série noire, collection dans laquelle paraît ce roman, le ton est donné. Chaque partie est marquée par une sorte de prologue baptisé d'un titre de jazz. "Les harmoniques (...) Les notes derrière les notes, dit Mister. Les notes secrètes. Les ondes fantômes qui se multiplient et se propagent à l'infini, ou presque. Comme des ronds dans l'eau. Comme un écho qui ne meurt jamais (...) Ce qu'il reste quand il ne reste rien. C'est ça, les harmoniques. Pratiquement imperceptibles à l'oreille humaine, et pourtant elles sont là, quelque part, elles existent." Elles sont encore là, quelque part, oui, comme Vera Nad, l'héroïne absente de ce roman noir.

Il y a quelques semaines, je vous parlais de Garden of Love, un précédent roman de Marcus Malte, et je rappelais qu'un des premiers posts de ce blog était consacré au Doigt d'Horace, son premier roman noir, dans lequel on faisait la connaissance du duo Mister - grand black pianiste de jazz au Dauphin vert - et Bob - improbable chauffeur de taxi à la 404 jaune. Dans Les Harmoniques, on est ravi de retrouver ces deux hommes-là. Sauf que là, ils sont franchement déprimés, nos deux copains. Et nous aussi, du coup. Leur amie Vera Nad a été assassinée, atrocement brûlée par ses meurtriers, et on ne peut pas dire que la police se précipite pour tirer l'affaire au clair. On a bien trouvé et arrêté des coupables, et invoqué une banale affaire de deal de drogue, mais pour Bob et surtout pour Mister, l'affaire est loin d'être close. Le livre commence avec un hommage musical à la chère disparue, un hommage signé Gerry Mulligan. Qui est donc Vera Nad, l'héroïne au nom de femme fatale ? Une jeune femme de 26 ans, née dans l'ex-Yougoslavie, élève d'un cours de théâtre et cliente épisodique du Dauphin vert. Pour l'instant, Mister et Bob n'en savent pas beaucoup plus. Mais Mister est amoureux, ou bien fasciné, ou bien il sent derrière la disparition de la belle Vera un secret que certains se donnent beaucoup de mal pour garder. Un peu tout cela à la fois sans doute. L'enquête a démarré, et elle n'est pas facile. De cours de théâtre en galerie d'art (la galerie s'appelle Rankin, hasard ou coïncidence), en passant par une paire de musiciens de rue particulièrement bien croqués, les deux hommes vont se retrouver plongés dans le passé tragique d'un pays qui a changé de nom, mais qui a conservé ses têtes pensantes et agissantes. Qu'on retrouve jusqu'au cœur de nos propres gouvernements. Et là, Marcus Malte s'en donne à coeur joie, déguise en toute transparence les noms de ses cibles pas émouvantes, s'en prend avec vigueur à nos propres appareils d’État, bref, Marcus Malte est gonflé. Alors, un polar qui s'envole ? Oui, un polar qui commence comme... un bon polar, mais dont les ailes se déploient petit à petit sous nos yeux ébahis, et qui finit par exploser en un geyser de noirceur, de provocation, de colère et de tristesse. L'auteur se déchaîne, déploie sa virtuosité pour nous étourdir, nous raconte l'enfance de Vera avec une violence d'une rare élégance. A la fin du roman, on irait bien, nuitamment, faire un tour au Dauphin vert y écouter Mister jouer du Horace Silver, tendre l'oreille pour saisir les harmoniques, et pourquoi pas, essayer de consoler l'inconsolable et l'emmener voir la mer avec Bob le taxi ?

> A l'occasion des Quais du Polar 2011, Marcus Malte parle des Harmoniques (vidéo)

La bande son des Harmoniques
Bud Powell, Freddie Hubbard, Gerry Mulligan (Wallflower), Dizzie Gillespie, John Coltrane, Charlie Mingus, les frères Adderley, Herbie Hancock (Maiden voyage), Miles Davis (Blue in Green), Gershwin (Summertime, Someone to Watch Over me), Wayne Shorter, Keith Jarrett (Flying), Demis Roussos (Rain and Tears), les Beatles (Let it be, Help), Sarah Vaughan (There Will Never Be Another You), Lionel Hampton (There Will Never Be Another You, Here's that Rainy Day, What is this Thing Called Love ?), Cole Porter (Everytime We Say Goodbye), Bill Evans (Time Remembered), Bob marley (One Love, One Heart), Billie Holiday, Donaldson et Lyman (What can I say After I Say I'm Sorry), George Shearing (Lullaby of Birdland), Duke Ellington (Satin Doll), Mandel et Webster (The Shadow of your Smile), Henderson et Dixon (Bye Bye Blackbird)

Complément : un "camarade blogueur" a posté  dans sa chronique une liste beaucoup plus complète, et, surtout, avec des liens ! Voici l'adresse de son message : http://www.canalblog.com/cf/fe/tb/?bid=160074&pid=21748748.

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