Voici le troisième roman de Nina Allan publié par Tristram,
qui est également l’éditeur de ses recueils de nouvelles. Nina Allan,
romancière et nouvelliste anglaise, nous offre là un texte qui envoûtera aussi
bien les amateurs de fantastique et de SF que ceux qui préfèrent les thrillers
psychologiques intelligents, rapprochant ainsi deux publics pas nécessairement voisins
pour les réunir sous la bannière de l’amour de la littérature !
Selena et Julie vivent avec leurs parents à Manchester.
Julie a tout juste quinze ans, Selena treize. Elles sortent toutes deux de leur
phase « aliens » et X-Files, Julie prend son envol, elle passe du
temps toute seule ou avec ses copains, et Selena se sent un peu délaissée.
D’autant que leurs parents sont au bord de la séparation… Selena se prend
d’amitié avec Stephen Dent, un drôle de type solitaire, prof de maths, qui
habite un drôle d’appartement bourré de livres et flanqué d’un petit jardin
orné d’un bassin à carpes japonaises. Stephen a vécu au Japon, d’où il a
rapporté un amour inextinguible pour la jolie Hiromi. Hélas, les parents de la
jeune fille se sont opposés à leur relation. Depuis trente ans, Stephen Dent
vit donc seul avec le fantôme de son amour pour Hiromi. Jusqu’à son suicide,
trois mois avant la disparition de Julie.
Vingt ans plus tard, Selena rentre chez elle après avoir
fêté la promotion d’une de ses collègues. Le téléphone sonne : une voix
féminine lui dit « C’est Julie. » Julie, disparue depuis vingt
ans ? Julie, qu’on a crue morte, peut-être victime du serial killer qui a
sévi dans la région ? Vingt ans plus tard, le père des deux filles est
mort d’une crise cardiaque, rongé par l’obsession de la disparition, leur mère
vivote, seule. « Julie avait disparu. Elle était définie par son absence.
La voix à l’autre bout du fil devait appartenir à quelqu’un d’autre. »
Selena accepte de rencontrer la propriétaire de la voix, dès le lendemain soir.
Ce jour-là, elle finira sa soirée devant la télé, entre une émission de vente
aux enchères et une série policière, celle qui se passe en Cornouailles,
« avec l’inspecteur classieux. » Une dernière soirée ordinaire,
morose.
Le jour d’après, il ne sera plus possible de vivre comme
avant. La réapparition n’en est pas vraiment une : quelle relation y
a-t-il entre la Julie d’il y a vingt ans et celle d’aujourd’hui ? Quelques
souvenirs, mais surtout une faille, une fracture qu’il va falloir réparer,
comme on pourra. Car la Selena d’aujourd’hui, son boulot médiocre, sa vie
banale, n’est pas non plus celle d’il y a vingt ans. Cette longue séparation,
cette absence inexpliquée, qu’ont-elles fait à ces deux femmes ? Tel est
le difficile cheminement que va entreprendre Nina Allan : comment répondre
à ces questions-là ? En croyant aveuglément l’histoire d’enlèvement que
raconte Julie ? Julie, enlevée vingt ans auparavant et emmenée sur la
planète Tristane, où elle a vécu une existence certes bien différente de celle
qu’a menée sa sœur Selena, mais finalement pas aussi extravagante que celle que
pourrait imaginer un esprit ouvert aux histoires fantastiques,
extra-terrestres.
Nina Allan va se faire un plaisir de jouer avec nos sens, nos nerfs et
avec notre bonne vieille rationalité, avec des retours en arrière qui vont nous
raconter d’un côté les événements qui ont façonné l’existence de ceux qui sont
restés là, à Manchester - l’enquête, les soupçons, les suspects, les théories
et les hypothèses - et de l’autre l’expérience de Julie, sa vie ailleurs, mais
aussi son retour à Manchester, sa morne expérience d’employée au service des
dossiers médicaux, avec des collègues qui ne se doutent pas du drame qu’elle a
traversé. Comment ces deux femmes vont-elles se retrouver, et surtout comment
vont-elles parvenir à se faire confiance ? La fracture de Nina Allan,
c’est l’éternelle faille de la science-fiction, celle par laquelle nous
parviendra peut-être, un jour, le signe d’ailleurs. C’est aussi celle qui
sépare notre vie et notre personne d’autrefois de celles d’aujourd’hui, celle,
sans doute irréparable, qui éloigne les êtres les plus proches. La fracture
exerce un véritable envoûtement, au fil de la lecture, en ce qu’elle entr’ouvre
en nous les blessures les plus sensibles, tout en réussissant à tisser, à
travers une construction subtile et un style aussi brillant qu’efficace, une
intrigue irrésistible.
Nina Allan, La fracture, traduit par Bernard Sigaud,
Tristram éditions
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