Millicent Spark, 72 ans, a passé 24 ans en prison. Elle a été condamnée pour le meurtre de son amant. Vingt-quatre ans de prison : inutile de dire que pendant ce temps-là, le monde a beaucoup changé... A sa sortie, Millicent s'installe chez son frère Alastair, jusqu'au jour où ce dernier meurt suite à une agression. Elle s'en va donc vivre chez Vivian, 75 ans, la sœur du mari d'Alastair. Dans la maison réside également Carla, l'amie de Vivian. Millicent a beaucoup de mal à se faire à sa nouvelle vie : elle a perdu tous ses repères. Missionnée par Vivian pour aller s'acheter un gâteau et un café, histoire de se familiariser avec la vie sociale, elle reste muette lorsqu'on lui demande quel genre de café elle veut, un latte peut-être ? Un latte, vraiment ? Et s'offre une bonne petite dispute avec deux ados qu'elle insulte copieusement lorsqu'ils font mine de l'aider à sortir d'un escalator. "Vieille cinglée!" : les mots claquent... "Puis elle se rappela que son estimation de l'âge des jeunes gens était encore en cours de recalibrage. Toute personne de moins de trente ans lui donnait l'impression que sa place était à l'école." Millicent a beau être désorientée, elle n'en a pas pour autant perdu son fort caractère.
Jerome - dit Jerry - est étudiant en première année à l'Université de Glasgow, section cinéma. Sa passion : le cinéma d'horreur. Il débarque de l'Ayrshire, au sud-ouest de l'Écosse, et se retrouve dans la grande ville, un brin désorienté, tout aussi paumé que Millicent. D'autant que dans la cité universitaire où il vit, on lui fait bien sentir qu'il ne vient pas du bon milieu. Il a été élevé par sa grand-mère qu'il adorait, sa mère lui ayant refilé le bébé avant de disparaître dans la nature, alors que Jerry n'avait pas deux ans. Quant à son père, il ne lui a laissé que sa couleur de peau... Bref, Jerry ne se sent pas vraiment pas à sa place. En plus, il est fauché comme les blés et se laisse entraîner dans de petits trafics, histoire de mettre du beurre dans les épinards. Jusqu'au jour où une de ses expéditions se termine mal. Il décide de faire une fin et de déménager pour ne plus avoir affaire à ses anciens copains de magouilles. Il tombe sur une petite annonce un peu étrange : une colocation avec trois dames d'un certain âge, une chambre dans un beau quartier, à un prix dérisoire. Le loup ? Une partie du deal repose sur un engagement à partager davantage qu'un toit avec les trois hôtesses : il s'agit d'un projet "transgénérationnel", en quelque sorte. Ce qui ne fait pas peur à Jerry, qui a vécu toute sa vie avec sa grand-mère qui, accessoirement, tenait une boutique de location de vidéos. Il emménage donc très vite chez Vivian, Clara et Millicent. Tout roule... Pas pour longtemps.
Millicent, qui jusque-là se considérait comme morte en 1994, l'année de sa condamnation, finit par comprendre que finalement, sa vie vaut sans doute quelque chose puisque quelqu'un, visiblement, lui en veut... C'est que Millicent est persuadée qu'elle n'est pas coupable du crime pour lequel elle a été punie. Le problème, c'est qu'elle souffre d'un fâcheux trou de mémoire. Que s'est-il donc passé ? Qu'est-il arrivé à cette femme qui était la reine des maquilleuses dans le petit monde du film d'exploitation des années 90 ? Qui est vraiment responsable de la mort de Markus ? Quelqu'un, quelque part, sait quelque chose et veut s'assurer que Millicent ne va pas retrouver la mémoire. Et il est prêt à tout.
Jerry, de son côté, a un peu de mal à se défaire de ses mauvaises fréquentations. Il pensait avoir la paix chez les trois vieilles dames : lourde erreur... En plus, Jerry a un secret, et il voudrait bien qu'il reste caché. Résultat : Millicent, 72 ans, et Jerry, 18 ans, ont toutes les raisons du monde de fuir Glasgow. Fuir ensemble, voilà la solution.
Et voilà nos deux éclopés de la vie, Millicent et Jerry, partis à la chasse au passé : la traque passera par la France et l'Italie, et surtout nous plongera dans le drôle de petit monde des films d'horreur et des films gore. Les deux fuyards ont bien des points communs : leur connaissance et leur fascination pour ces films méprisés, réalisés avec des bouts de ficelle, et en particulier pour un film culte qui n'a jamais vu le jour, Mancipium, dont les connaisseurs disent qu'il montrait l'innommable... Voyage dans l'espace, voyage dans le temps : Chris Brookmyre nous entraîne dans une équipée sauvage d'un genre bien particulier, avec ce duo impensable et pourtant parfaitement complémentaire de deux personnages singuliers, à la fois innocents et déterminés, qui vont devoir faire preuve d'une intelligence et d'une énergie peu communes pour parvenir à l'invraisemblable vérité.
Le roman parle de cinéma, et il avance aussi vite qu'un grand film noir moderne, racé et intelligent. Il parle du monde qui avance et qui change, il parle d'humains aussi différents qu'on peut l'imaginer et qui pourtant partagent, au-delà des générations qui les séparent, ce qui caractérise les hommes et les femmes tels qu'on les aime : leur intelligence, leur générosité, leur courage. Chris Brookmyre signe là un roman passionnant, crée deux personnages aussi fascinants qu'attachants, et donne à son lecteur un livre construit au cordeau, avec un sens du timing impeccable et des émotions authentiques, sans jamais céder à la facilité. Une belle réussite.
Chris Brookmyre, Coupez!, traduit par David Fauquemberg, Métailié Noir
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